Réincarnation, fin de siècle

Auteur: Délia STEINBERG GUZMANN

libéré 23-04-2018

Ils parlent tous d’une lumière après la mort… Réincarnation… ?

L’auteur s’interroge sur le sens de la réincarnation. Une application de la loi des cycles ? Une naissance qui porte la mort implicite ? Une mort qui renferme cachée la graine de la vie ?

Le problème de la réincarnation a fait l’objet des déclarations les plus variées, depuis les louanges de ses ardents défenseurs jusqu’aux critiques de ses ardents détracteurs.
L’ennui dans ces extrêmes est qu’aussi bien les défenseurs que les détracteurs s’appuient davantage sur des questions de foi, de fantaisies mystiques ou de thèses scientifiques forcées que sur des connaissances équilibrées.

Pour notre malheur, il est difficile de trouver à l’heure actuelle des connaissances suffisamment solides, bien que des quantités de livres abondent sur ce thème, parce qu’il y a des siècles que la majorité des civilisations ont abandonné cette conception particulière de la vie, celle où la religion, la philosophie et le mystère se donnent rendez-vous.

Loin des autorités en la matière, nombreux aujourd’hui sont les sentimentaux de l’ésotérisme qui voient dans la réincarnation une façon de continuer à vivre, de revenir encore et encore dans cette vie, ou les fanatiques de certaines religions qui nient la réincarnation simplement parce qu’elle n’est pas mentionnée dans leurs textes sacrés mille et une fois remaniés.

Cela sans compter avec les incompétents qui enjolivent la polémique avec quelques touches de morbidité et confondent la possibilité pour un être de s’incarner à nouveau en diverses occasions à la recherche d’expériences avec la superposition des formes de vie ; ainsi, un tel qui est homme aujourd’hui, pourrait renaître demain en vache, têtard ou laitue. Il va de soi que, dans cette ligne de pensée, la réincarnation a occupé une place de plus en plus secondaire dans l’intérêt des penseurs et chercheurs authentiques.

Néanmoins, tous les peuples de l’Antiquité ont connu cette doctrine et l’ont vécue en toute simplicité, comme partie intégrante de leurs croyances et de leurs philosophies. Et nous ne pouvons continuer à soutenir que les peuples de l’Antiquité étaient moins sages que ceux d’aujourd’hui simplement parce qu’ils étaient anciens ; la thèse de la croissance continue et progressive n’est pas prouvée dans la réalité. Bien au contraire, puisque beaucoup de connaissances des époques anciennes restent encore inabordables pour la science actuelle.

Ce qui est certain, c’est que les hommes n’ont pas eu les mêmes centres d’intérêt à tous les moments de l’histoire et que le point de départ de leur façon de penser n’a pas toujours été le même.
Alors qu’aujourd’hui prévaut la rationalité, ou du moins une prétendue rationalité, avant primait une conception plus intuitive et plus profonde, fondée sur certaines expériences vécues, de celles que l’intelligence peut à peine expliquer.
Mais point n’est besoin d’être un génie de l’intuition ni un rationaliste distingué pour pouvoir aborder quelques hypothèses faisant de la réincarnation un support de l’évolution.

Un regard à la nature

Aujourd’hui où l’écologie et le respect de notre planète passionnent tant, il sera plus facile de diriger un regard en profondeur sur la Nature et de ne pas s’arrêter seulement aux phénomènes superficiels.

La loi des cycles se manifeste dans tout ce qui nous entoure. Rien de plus normal que le constant devenir des saisons avec les changements qu’on leur connaît et personne n’aurait l’idée de définir l’hiver comme une mort définitive, mais seulement comme un repos avant le réveil du printemps.
Un arbre sans feuilles n’est pas un arbre mort, il passe par un cycle et en entamera un autre quand renaîtront ses feuilles, ses fleurs et ses fruits. Le cycle qui va de la graine à la plante dans son plein épanouissement et les fruits de cette plante qui vont produire des graines nous parlent clairement d’une énergie circulant sous différentes formes, mais sans se détruire. Le sable qui devient pierre et la pierre qui s’effrite en sable sont un autre exemple que nous acceptons facilement car il ne contredit pas la raison, tout comme l’eau qui se fait nuage et le nuage qui se transforme à nouveau en eau.
Le jour et la nuit se succèdent l’un à l’autre et il ne vient pas à l’idée que l’obscurité puisse être perpétuelle. Il est naturel que le soleil apparaisse tous les matins et, d’un autre point de vue, que la terre continue à tourner sur son axe et autour du soleil, créant ainsi des zones de lumière et d’obscurité, des zones plus chaudes ou plus froides.
Mais ce qui paraît logique dans la Nature semble perdre son sens quand on l’applique aux hommes et à l’échelon de vie le plus proche, celui des animaux. Il n’est pas dans notre intention de nous arrêter ici sur les cycles des animaux (qui en ont également), mais de nous centrer sur les humains puisque c’est d’eux qu’il s’agit ici.

Le cycle chez l’homme

On accepte communément l’idée de cycles dans le développement humain, qui vont de la naissance à la mort en passant par l’enfance, la jeunesse, la maturité et la vieillesse. Mais il s’agit d’un cycle ouvert qui laisse deux inconnues non éclaircies : celle de la naissance et celle de la mort, c’est-à-dire d’où nous venons et où nous allons. La vie humaine est comme une portion de cycle, un segment de circonférence qui ne se referme pas sur elle-même. Si la mer retourne à la mer à travers la pluie des nuages, l’homme, lui, ne retourne pas à la vie après la mort. Pourquoi ? Peut-être par ignorance, peut-être par peur, peut-être par préjugés, peut-être parce qu’alors la vie deviendrait beaucoup plus complexe. Ce qui est certain, c’est que ceux qui conçoivent l’immortalité de l’âme ne conçoivent pas, par contre, qu’une âme immortelle puisse assumer diverses formes externes ; ils n’acceptent pas qu’une âme, si elle peut une fois avoir un corps, puisse en avoir un autre bien d’autres fois.
L’existence ainsi conçue se convertit en un véritable enfer, en un combat contre le temps, en une lutte perpétuelle contre le destin ou le mauvais sort, en une somme inexplicable de souffrances qui semblent n’avoir aucun sens. Pour des raisons inconnues, certains vivent plus et d’autres moins, certains jouissent d’une bonne santé et d’autres souffrent de douleurs et de maladies, les uns ont des avantages et de bonnes opportunités, les autres échouent dans tout ce qu’ils tentent, les uns ont des moyens et de la fortune, les autres manquent du plus indispensable. Et, pour comble, le bien et la justice ne triomphent pas toujours et on ne peut pas toujours donner raison aux uns plutôt qu’aux autres.

Si nous partons de l’idée que l’être humain est plus qu’un corps physique, nous faisons un pas de plus dans la compréhension. Bien que certains prétendent réduire les processus humains au fonctionnement biologique et aux échanges physico-chimiques, tous les sentiments ou les pensées que nous avons ne peuvent s’expliquer aussi facilement. C’est une évidence pour chacun que son psychisme et son esprit se déploient dans une autre dimension, un autre plan distinct du plan purement physique, au point que les idées et les émotions peuvent troubler le corps et que le corps, à son tour peut influer sur les idées et les émotions.

Pourquoi ne pas penser alors que la psyché, le mental ou encore l’âme ou l’esprit — si l’on veut viser quelque chose d’encore plus subtil — sont comme la racine de l’arbre qui persiste alors que les feuilles tombent en hiver ? L’hiver de l’existence peut dessécher les corps, mais il persiste une racine latente qui, le cycle de repos terminé, est capable de fleurir à nouveau en se couvrant d’un autre vêtement.
S’il en était ainsi, si chacun d’entre nous revenait de temps en temps à la vie, en alternant ces cycles avec ceux que nous appelons mort, l’existence serait une école de formation. Les expériences acquises faciliteraient une évolution croissante et beaucoup des « injustices » et inégalités dont nous avons parlé plus haut pourraient s’expliquer comme des inégalités de développement, comme l’effet de causes personnelles antérieures, et non comme de simples « coups du sort », bons ou mauvais.
La mort perdrait son aspect fatidique et serait par contre un repos logique et nécessaire tout comme le sommeil, la nuit, après une journée d’activité. Vivre fatigue, épuise, et l’homme intérieur sous-jacent aux formes qui se détériorent aspire à un peu de repos.

Vie et mort, ou existence formelle et existence sans forme, se succèdent selon des rythmes particuliers ; comme nous l’enseignent les anciens, l’âme requiert une période de repos au moins égale à cinq fois ce qu’elle a vécu sur terre pour pouvoir revenir régénérée et avec des forces suffisantes pour entreprendre d’autres expériences.
Mais notre monde attente non seulement à la Nature en détruisant les sources qui nous aident à l’entretenir, mais attente aussi à la vie humaine elle-même.
La peur — pour ne pas dire la terreur — de la mort a fait que progressivement les cycles de repos se raccourcissent, car nul ne veut rester sans corps et ceux qui reviennent le font sans s’être reposés. C’est du moins ce que nous retirons des enseignements traditionnels.

Les périodes de repos ou de mort étant chaque fois plus courtes, les périodes de vie terrestre sont plus fréquentes. De là vient que les appétits matériels, le violent désir de sensations physiques augmentent avec l’incapacité à concevoir un autre mode « d’être » dans lequel on ne soit pas enfermé dans un corps. Les hommes reviennent à la vie « vieux » et fatigués, nerveux et agressifs, comme le sont ceux qui ont peu dormi, non seulement une nuit, mais beaucoup de nuits de suite.

L’accélération des temps

Il est certain qu’il y a des moments dans l’histoire où tout semble aller plus vite, où les événements s’enchaînent à une vitesse vertigineuse et où les changements se révèlent imparables. Les cycles historiques (car il y en a aussi) se raccourcissent dans la même mesure où les hommes raccourcissent leurs cycles de vie et de mort, d’activité et de repos, et l’histoire court à la même vitesse que les hommes.
Si l’humanité ne met sa confiance que dans les corps et les biens matériels, l’histoire est également conditionnée par les valeurs matérielles et concrètes, précisément celles qui se détruisent avec le plus de facilité, obligeant à chercher constamment de nouveaux systèmes de vie qui se révèlent aussi inefficaces les uns que les autres, car tous s’appuient sur une base instable, celle du périssable.

On combat la crainte de la mort en essayant d’éviter toute idée en relation avec elle, en l’occultant derrière une recherche désordonnée des plaisirs pour oublier ce dont on ne veut pas se souvenir. Mais ces plaisirs sont brefs et il faut obtenir de nouvelles choses pour tirer ce « voile » épais grâce auquel nous ne sommes pas contraints de nous confronter avec la réalité. JI faut transformer la vie en quelque chose de divertissant, d’excitant, ou tomber dans la folie des « fuites ».

Néanmoins, l’instinct « d’immortalité » mène l’assaut de toutes parts et cherche à prolonger la vie, l’unique vie, dans un combat inégal contre la mort. C’est là que la science se met au service, non pas du bien-être et de la santé corporelle, mais de l’augmentation de la longévité et de l’obtention artificielle d’une éternelle jeunesse parce qu’une chose amène l’autre. Si nous souhaitons vivre plus longtemps, nous voulons le faire en bonne forme, comme des gens jeunes et forts ; les caractéristiques de la vieillesse sont aussi odieuses que la mort elle-même.

Aujourd’hui, on livre une lutte désespérée pour faire semblant d’être ce qu’on n’est pas, pour prouver que le temps ne passe pas pour soi ; des centaines de formules chirurgicales essaient de redonner à la chair un aspect ferme et jeune ; la cosmétologie gagne du terrain dans les bourses mondiales, de même que certains types de médecine qui « gomment » les années et les rides.

La manipulation génétique, qui commence à donner quelques résultats sur les animaux, se rapproche dangereusement d’autres expérimentations, sur l’homme cette fois, et toujours dans la même perspective : l’immortalité physique.

À combien d’hommes pouvons-nous « tenir » sur Terre ?

Si nous prenons en considération ce que nous avancions plus haut sur les cycles de repos trop courts qui donnent une humanité « fatiguée », déjà adulte à la naissance, une autre conséquence apparaît immédiatement : à rompre l’équilibre entre les périodes de vie et de mort, à rendre toujours plus fréquentes la naissance des mêmes âmes, nous sommes toujours plus nombreux à être incarnés sur terre.

En accord avec les traditions ésotériques que nous avons mentionnées, la quantité d’hommes qui peuvent s’incarner est très importante, mais pas illimitée ; et avant d’arriver au contingent maximum, la Nature chercherait une sorte d’ajustement. Bien souvent, ce que nous appelons désastres ne représente rien de plus que des retours à une loi mille fois transgressée…

La surpopulation est un autre des fantasmes qui dévastent le moment historique actuel ; mais ce n’est même pas une surpopulation équilibrée ; la majeure partie des gens sont regroupés dans les endroits les moins indiqués : dans les pays les plus pauvres et qui ont le moins de possibilités d’offrir des conditions de vie dignes, ou dans les grandes villes où la cohue oblige les gens à recourir aux systèmes les plus artificiels pour subsister.
En général, dans les pays qui possèdent l’indice de richesse le plus élevé, la population n’atteint pas des chiffres aussi importants ; de la même façon, il y a peu de gens là où reste de l’espace.

La faim a fait son apparition depuis un certain temps ; l’eau se fait manifestement rare et le manque de ressources est comme un fouet qui frappe de mille monstrueuses façons. Selon les dernières statistiques, plus de cinq cents millions de personnes dans le monde souffrent réellement de la faim, tandis que plusieurs autres millions comptent les calories qu’ils consomment pour garder la « ligne » à la mode et éviter de devenir obèses.

Le rêve d’une répartition équitable des aliments reste un rêve ; on peut faire beaucoup de calculs, mais il y a trop d’intérêts en jeu pour que quiconque puisse appliquer les mesures prises.
La vie n’est pas facile dans les villes riches non plus. Les postes de travail sont des « prises de chasse » à conquérir par tous les moyens et les jeunes subissent de véritables tortures avant d’assurer médiocrement leur avenir économique. On manque de logements ou, s’il y en a, on n’a pas le pouvoir d’achat suffisant pour les obtenir.

Pratiquement sans que nous nous en rendions compte, les migrations des pays pauvres vers les régions plus riches ont commencé ; de grandes masses désespérées se transportent d’un endroit à l’autre, cherchant un lieu acceptable où s’installer et, s’ils peuvent piller ou voler, ils s’approprient ce que les autres ont obtenu de façon apparemment facile. Plus que des migrations, nous aurons bientôt à affronter des invasions.

La riposte est également apparue presque subrepticement : c’est le renforcement des groupes humains qui se réunissent pour repousser l’envahisseur, « l’ennemi ». Le racisme, la xénophobie, le contrôle des frontières et les visas modernes se sont mis en place pour empêcher le passage des « indésirables ».
L’agressivité commande partout et il est presque impossible de trouver un coin dans le monde où il n’y ait pas une guerre ouverte ou une guérilla plus ou moins camouflée.
C’est que nous sommes nombreux et nous nous gênons les uns les autres… Il est préférable de parler de paix pendant que par dessous se pratique la plus sale des guerres.

Un panorama sombre mais pas tant que ça

Nous ne voulons pas terminer ces pages sur l’image d’un avenir sombre et désolant. Tout n’est pas désastre et les mauvaises choses ne sont pas les seules à se manifester.
Il y a des soupçons de clarté et d’air frais dans beaucoup de domaines.
Tandis que se poursuivent les luttes de priorités et de clans, d’ethnies et de religions, il y a des scientifiques qui font des recherches de façon assidue et passionnée sur l’origine de l’homme et de l’univers, arrivant en plus d’une occasion à frôler le « Mystère ». C’est d’eux, de ces chercheurs de génie, que nous arrivent les plus grands espoirs pour l’avenir. Nous ne sommes pas étonnés que ce soient eux qui recommencent à parler de Dieu et eux qui retrouvent la logique de la réincarnation pour expliquer la vie des hommes et de tous les mondes.

Le scientifique Niels Bohr (1885 – 1962) s’exprimait en véritable philosophe en affirmant : « Aucune des phrases que je prononce ne peut être considérée comme une affirmation, mais comme une question. » Et le célèbre Stephen Hawking se rapproche des Puranas de l’Inde antique quand il dit que « Dieu ne joue pas seulement aux dés, mais que parfois il les jette là où on ne peut les voir ».

Oui, quelque chose de nouveau pointe à l’horizon. Les grands penseurs se posent de grandes questions et n’ont pas peur, ils ne veulent pas offrir des réponses hâtives et fausses. Les grands penseurs reconnaissent Dieu dans la mesure où ils découvrent les grandes lois, les grandes vérités, dans la mesure où ils reconnaissent aussi que nous, les hommes, sommes aveugles et ne pouvons comprendre les langages des « clés » de la Nature.
Quelque chose est en train de changer au cœur de toutes les infortunes qui nous assaillent. Une autre façon claire d’appliquer la loi des cycles : une étincelle de lumière au sein de l’obscurité et un point noir qui croît au sein de la lumière.
De même que dans la vie humaine, une naissance qui porte la mort implicite, et une mort qui renferme, cachée, la graine de la vie. Ce qu’au début nous appelons réincarnation.

Traduit de l’espagnol par Nicole LEVY

N.D.L.R. : Le chapeau a été rajouté par la rédaction

Article paru dans la revue N°127 Nouvelle Acropole (septembre-octobre 1992)

La entidad que publica este artículo asume la responsabilidad de que las imágenes usadas tienen el permiso necesario