Rendre le monde habitable. Telle était la quête des Égyptiens que nous rappelle Fernand Schwarz, auteur de Maât, Égypte, miroir du ciel, paru en 2009. Il s’agit de s’inspirer des valeurs et racines du passé afin de les réactualiser à l’aide des apports contemporains. Une nécessité pour la société actuelle en panne de valeurs.
L’époque est révolue où le progrès n’apparaissait possible qu’à condition de faire table rase de tout ce qui nous avait précédé. Nous savons qu’on ne peut créer ex nihilo et que le tenter entraîne l’humanité sur le chemin de l’auto-mutilation et de l’auto-destruction. Il nous apparaît que le seul moyen que nous ayons aujourd’hui de fonder un avenir qui ne soit ni une régression aveugle vers la barbarie ni une tentative désespérée d’arrêter l’Histoire au nom d’un passéisme stérile, consiste à nous réconcilier avec nos racines, à les reféconder et les réactualiser à l’aide des apports des sciences contemporaines.
Notre époque a dégagé, tant au niveau des sciences exactes que des sciences humaines comme la psychologie et l’anthropologie, des moyens que l’humanité a peu, voire jamais connus. Ces découvertes, inestimables, sont cependant insuffisantes, telles quelles, pour répondre aux besoins d’aujourd’hui. Disparates, elles doivent être intégrées dans un ensemble cohérent ; il nous faut par ailleurs trouver les moyens de transformer ces apports en comportements efficaces, tant individuels que collectifs.
Afin de mieux comprendre la réalité et de mieux agir sur elle, nous avons accepté de réviser des idées reçues sur le fonctionnement de l’univers, sur l’origine de l’homme, sur la biologie et la santé… Aujourd’hui, après la crise financière qui a secoué toute la planète, avec le réchauffement du climat et ses conséquences sur l’écosystème,face au désarroi dans lequel sont plongées les sociétés occidentales pour aménager une société habitable et harmonieuse, nous devons accepter de réviser nos idées sur le mode de fonctionnement des sociétés humaines. La situation actuelle du monde exige de nous une refonte complète de notre grille de lecture de la réalité.
Nous constatons en effet que l’école ne prépare plus à travailler ni à penser, que la famille ne prépare plus à une vie affective épanouie qui ouvre sur les autres, que la société n’inspire plus un comportement civique et que les religions défendent davantage leur chapelle que l’éthique.
Depuis quelques décennies, un certain nombre d’idées reçues sur le fonctionnement de la société ont été balayées par les résultats des dernières recherches en sciences humaines. Notamment celles qui concernent le fonctionnement des sociétés traditionnelles et la fonction du sacré dans les sociétés humaines en général. Ces nouvelles connaissances nous amènent à nous interroger et à revoir nos idées sur les notions de tradition, de spiritualité, d’intériorité, d’initiation, de rite, de symbole et de mythe, de hiérarchie, d’honneur, de dévotion, de foi. Nous avons en effet la surprise de constater que ces principes, loin de contrevenir aux notions de liberté, de respect, d’autonomie et de développement de l’individu, les servent, tout comme elles servent une vie collective elle-même au service de la justice.
Ce n’est pas sans raison que tant de chercheurs contemporains — comme le psychologue Carl G. Jung ou le physicien Fritjof Capra (1) — se sont inspirés ou s’inspirent de ces civilisations et de leurs traditions, donnant ainsi une nouvelle actualité à des sociétés dont on pensait qu’elles ne pouvaient rien nous apporter.
Parce que nous avons accepté de réviser nos idées reçues dans les domaines de la physique ou de la biologie, notre vie en a été changée. Les découvertes qui ont suivi ont trouvé d’innombrables applications dans la vie quotidienne et le fonctionnement de notre société, apportant un changement profond et accéléré de notre environnement : confort décuplé, longévité accrue, etc.
Malheureusement, dans le domaine qui nous intéresse, celui de l’apport des sociétés traditionnelles au fonctionnement de la société contemporaine, nous sommes en défaut. Nous ne développons pas les comportements ou les idées qui pourraient nous aider à mieux gérer les rapports humains dans notre société. L’apport de ces sociétés traditionnelles, longtemps décriées, est fondamental dans le domaine de la transmission des connaissances et des comportements. Domaine particulièrement sensible à l’heure actuelle où la rupture entre les générations s’accentue et alors que le déficit d’éducation n’est ignoré de personne. Au cœur de nos sociétés, des réseaux entiers permettant la régulation et la formation sont en panne. Une révision urgente des idées reçues sur la question s’impose, à la lumière de l’héritage que nous ont légué les cultures et civilisations qui ont dû leur réussite au savoir-faire dans l’art de la transmission. Un des grands défis du XXe siècle consistera à rendre le monde habitable et à trouver un fonctionnement social qui permette de vivre les valeurs de solidarité et de fraternité.
Le changement radical de notre regard sur le monde et le balayage des idées reçues que nous devons à la science sont restés stériles au niveau des comportements.
Si, paradoxalement, nous sommes plongés dans une barbarie croissante, c’est que nous ne parvenons à transmettre et à diffuser ces découvertes, ni au niveau du savoir collectif, ni au niveau de la sensibilité et des mœurs. L’existence d’un pareil fossé entre la connaissance et la vie quotidienne est due à la nature de l’univers culturel qui est le nôtre et qui a dissocié le savoir-être du savoir-faire, la pensée de l’action.
Aussi avons-nous tout intérêt à essayer de comprendre comment les Anciens ont réussi à transmettre la conscience en même temps que le savoir-faire, pour nous réapproprier cette compétence. Sans tomber évidemment dans le passéisme qui consisterait à croire qu’il faut nous cantonner dans la répétition des savoir-faire des sociétés traditionnelles. Il s’agit non pas de recréer le passé mais de se réapproprier les moyens universels qui appartiennent à l’espèce et qui nous manquent actuellement.
Nombreux, aujourd’hui, sont ceux qui pensent qu’il nous faut, au-delà de l’identité locale, nous réenraciner au niveau de l’humanité, et retrouver une dimension universelle.
Cet article est extrait de Maât, Egypte miroir du ciel, Editions des 3 Monts, 2009
(1) Physicien américain d’origine autrichienne, auteur de nombreux ouvrages dont Le Tao de la Physique paru en 2004 chez Sand, Le Temps du changement, paru en 1994 aux éditions du Rocher.
Si l'une des images utilisées dans cet article est en violation d'un droit d'auteur, s'il vous plaît contactez-nous.