Cette expression a pris de la force durant les dernières décennies, ce qui revient à dire qu’on l’a utilisée toujours plus dans les médias.
En général, elle s’emploie dans un sens péjoratif et on l’applique surtout aux groupes dénommés sectes. Ce qui nous fait douter encore plus du sens caché de cette expression. Voyons pourquoi.
En premier lieu, parce que les médias – et nous savons qu’il existe quelques rares exceptions honorables – mettent à la mode ce qui intéresse le plus, ce qui se « vend » le plus, pour ne pas dire qu’ils mettent à la mode ce qu’ils vendront ensuite et qui s’imposera avec l’intérêt maximal. Loin de s’en tenir à la vérité, si difficile à trouver et à définir au jour d’aujourd’hui, ils se consacrent à des éléments secondaires qui captent l’attention du public et l’aident à « définir » mille choses de façon préétablie.
En second lieu, il s’avère presque impossible de déterminer le sens du mot « secte », sans céder au puissant courant d’op inion qu’ont créé les médias et les gens intéressés à faire circuler ce courant. Pour ce que nous savons de l’Histoire, les sectes, en tant que groupes avec une idée particulière, ont toujours existé, soit comme rameaux d’une croyance ou d’une forme de pensée, soit comme ensemble de personnes qui participent d’un type particulier de pensée ou de croyance sans s’être « séparé » d’un autre groupe principal. Cependant, l’interprétation aujourd’hui est qu’une secte est une réunion de personnes qui cherchent le mal, le pouvoir absolu, la domination du monde, la richesse démesurée, et autres sottises semblables ; et cela bien sûr, toujours dirigées par un « leader » maniaque et fanatique qui, poussé par son ambition personnelle, a à son service tous ceux qu’il parvient à adjoindre à son entourage.
À ce qu’il paraît. et selon la pensée (pensée ?) à la mode, les sectes sont dépositaires de toutes les formes de manipulation mentale passées et à venir (1). Nous arrivons ainsi au sujet de notre article : cette utilisation ou cette mauvaise utilisation d’autres esprits qui tendent, sans le savoir ni être consentants, à des attitudes et des idées contraires à celles qu’accepte la société. En résumé : la manipulation mentale.
Il n’est pas dans notre intention de nous consacrer, pour l’instant. à la question des sectes, ni à ce qu’elles sont ou prétendent être, ni aux différences entre certains groupes et d’autres : ni si elles peuvent réellement acquérir tout le « pouvoir » qu’on leur attribue comme finalité : ni pourquoi elles sont si redoutées des sociétés organisées. dotées des lois suffisantes pour combattre les délits dûment consignés dans d’innombrables tomes de jurisprudence.
Mais ce qui nous intéresse est cette mauvaise question de la manipulation mentale. Supposons un instant qu’il est certain qu’il existe des groupes qui consacrent à capter la volonté – la pensée et le sentiment – des personnes. Quelles sont les personnes assez faibles et insensées pour se laisser prendre ainsi ? des personnes saines d’esprit, sûres d’elles-mêmes ? Évidemment non. S’agit-il alors des personnes débiles, plutôt incultes, empêtrées dans des problèmes émotionnels et incapables d’agir par elles-mêmes ? Si c’est le cas – et quel dommage que ce le soit… – quel danger renferment les sectes, si elles ne sont rien de plus qu’un ensemble d’abrutis, faciles à pousser d’un côté et d’autre ?
Ce qui se dégage de cela est que seul peut être l’objet d’une manipulation perverse l’esprit de ceux qui n’ont pas suffisamment de force intérieure pour résister à l’assaut d’idées étrangères. Allons un peu plus loin. Quels sont ceux qui s’attaquent le plus aux multitudes avec des idées qui leur sont « étrangères » ? Quels sont ceux qui génèrent des besoins fictif ? Quels sont ceux qui tiennent des familles entières hébétées devant un téléviseur où elles n’apprennent rien d’utile, sinon à rire des autres, à voir comment on tue les gens, comment commettre le crime parfait ou comment activer les instincts les plus bestiaux ? Nous ne croyons pas que ce soient les sectes précisément.
Cependant, personne ne parle de la manipulation mentale qu’exercent les médias. Personne ne proteste contre le fait que même les langues traditionnelles et qui ont de la noblesse en viennent à se perdre, pour laisser place à un jargon incompréhensible sauf de ceux qui sont « dans le coup ». Personne ne proteste contre la dégradation des coutumes ni contre l’éloge de la violence qui apparait à chaque instant, parce qu’il ne suffit pas de dénoncer ses effets, mais qu’il faut présenter d’autres valeurs qui l’éradiquent. Personne ne proteste parce que les étudiants laissent tomber leurs livres pour ne pas rater l’émission à la mode. Personne ne trouve à redire au fait que la prostitution dont on fait la publicité occupe des pages et des pages dans les journaux. Personne ne renie les campagnes politiques qui ressemblent plus à des défilés de mannequins qu’à des propositions de programmes de gouvernement. Personne ne se plaint des caméras cachées qui brisent l’intimité des gens pour offrir des spectacles d’un goût bien douteux…
D’un autre côté, toute acquisition d’une idée doit-elle nécessairement être le produit de la manipulation mentale? Qu’est-ce alors que l’éducation ? Est-ce que ce n’est pas la manière progressive de cumuler des connaissances et des expériences nouvelles que nous n’avions pas avant ? Dirait-on que l’éducation est coercitive et forcée parce que les maîtres indiquent à leurs élèves les sujets qu’ils doivent étudier pour construire habilement leur édifice de connaissances ?
Pour ne pas dépasser l’espace de ces pages et ne pas ennuyer nos lecteurs, nous tirons maintenant, synthétiquement, quelques conclusions.
– Nous sommes tous sujets à la manipulation mentale, qui est plus émotionnelle qu’intellectuelle, bien que nous n’allions pas approfondir ce sujet.
– Nous sommes d’autant plus enclins à tomber dans les filets d’une manipulation néfaste que nos connaissances en général sont moindres, et qu’est moindre notre maîtrise de nous-mêmes.
– Ce ne sont pas les sectes qui manipulent les esprits des personnes (bien que quelques-unes puissent le faire), mais il existe une immense machinerie montée clans nos sociétés qui manipule comme elle veut parce qu’elle jouit du pouvoir et de l’apparente approbation générale.
– La manipulation est un acte négatif ou positif selon celui qui manipule et selon ce que sont finalités. Un chirurgien qui accomplit sa tâche avec précision, manipule nos tissus corporels et ses instruments de chirurgie pour nous sauver la vie. Un bon maître qui enseigne avec soin et dans le détail nous aide à vivre alors qu’il manipule notre esprit pour faire de la place à de nouvelles connaissances.
Le vulgaire manipulateur qui utilise la propagande pour nous obliger à acheter ce dont nous ne voulons pas, à voter pour quelqu’un que nous ne connaissons pas ou à porter un jugement sur ce qui dépasse nos possibilités, nous manœuvre de façon capricieuse et nous agresse sciemment.
Contre la manipulation mentale, il n’y a rien de mieux que la philosophie, rien de mieux que ce sain amour de la Sagesse qui nous conduit à connaître, à comparer, à choisir et à décider, qui nous rend forts et sûrs de nous mêmes et, sinon immunisés contre les erreurs, du moins capables de mettre en œuvre des corrections.
(1).Voir l’article Manipulation mentale et autres lavages de cerveau de Joël Labruyère dans la revue Les Trois mondes N°20, novembre-décembre 2000
Traduit de l’espagnol par Marie-Françoise Touret
N.D.L.R. : Les intertitres ont été rajoutées par la rédaction
Article paru dans la revue Acropolis N° 170 – Janvier 2001
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