L’ésotérisme à venir, connaissance ou superstition ?

Auteur: Délia STEINBERG GUZMAN

libéré 26-02-2018

L’ésotérisme existe depuis l’Antiquité. Il concerne un enseignement, transmis à des initiés pour comprendre le monde et les lois de la Nature. Aujourd’hui il réapparaît, accompagné de son cortège de superstitions, prédictions, gourous de toutes sortes, magie, irrationnel… N’est-il pas urgent de retrouver l’ésotérisme traditionnel pour nous aider à trouver les réponses adéquates dans le monde de demain ?

« Ésotérisme » est un terme utilisé pour se référer à une forme de connaissance très ancienne et reconnue qui pénétrait au cœur des lois les plus occultes et les plus mystérieuses de la Nature. Toutes les civilisations l’ont pratiqué, sous une forme ou sous une autre et dans tous les peuples, il y eut des hommes, choisis pour leur sagesse, capables d’un clair discernement, là où les multitudes ne voyaient que ténèbres.

Probablement le nom d’ésotérisme a-t-il conduit et continue-t-il à conduire à des interprétations négatives, dans la mesure où on suppose que ces connaissances spéciales étalent cachées à des fins inavouables ou bien accaparées par quelques-uns pour se faire valoir au détriment des faibles et des ignorants. En réalité, l’ésotérique s’oppose à l’exotérique, l’occulte est autre que le visible, mais cela n’implique pas nécessairement que l’occulte soit malfaisant ou qu’il soit occulté par malignité. Si nous utilisons ce critère, rien ni personne ne serait épargné car jusqu’au jour d’aujourd’hui, et dans les domaines les plus variés, il y en a qui gardent pour eux-mêmes les informations d’importance majeure, que ce soit par égoïsme ou pour s’imposer face aux autres grâce à la force de leurs renseignements exclusifs.

En relation avec l’ancienne Sagesse traditionnelle — ou ésotérisme en langage plus courant —, l’occulte provenait du fait qu’il requérait une préparation soigneuse et exhaustive pour arriver à dominer des connaissances inabordables autrement.
L’étude, la pratique de ces études et un contrôle rigoureux de la personnalité ne permettaient pas que ce savoir soit généralisé et appartienne au domaine public. Ils étaient bien peu, hier comme aujourd’hui, ceux qui accédaient à un tel état mental, moral et spirituel.
D’autre part, les rares personnes qui arrivaient à détenir la connaissance et la maîtrise des lois de la Nature faisaient très attention à ne pas vulgariser ce savoir, car ils prévoyaient avec juste raison que lesdits pouvoirs, entre des mains inadéquates, constitueraient bien plutôt une arme nuisible qu’un bien pour l’humanité.

L’ésotérisme authentique a toujours été un élément de protection et de défense. Il était entre les mains d’un petit nombre, mais il était à la portée de tous ceux qui de bonne foi décidaient de s’y efforcer.

Les moyens d’action de l’ésotérisme

On pense généralement que l’ésotérisme est clairement et ouvertement contraire au rationnel et au scientifique. Du fait même de sa faible diffusion, l’ésotérique se maintient dans les brumes de formes de pensée dans lesquelles la logique semble ne pouvoir absolument pas pénétrer.
En ce qui concerne les deux derniers siècles, les études philosophiques et anthropologiques ont relégué l’ésotérique dans le domaine de la pensée prélogique et ont réservé tout le pouvoir de la logique scientifique pour l’homme moderne.
Ce qui est évolué et actualisé est le fruit de la virtuosité mentale. Les nouvelles formules exigent la vérification systématique de chacune des expérimentations, dans quelque domaine que ce soit, et survalorisent l’expérience elle-même par rapport à tout schéma de transmission.
Ce sont ces hypothèses qui séparent la science de l’ésotérisme, mais la séparation n’est pas si importante qu’il y paraît.

L’ésotérisme aussi recourt au travail mental, mais ne le considère pas comme le moyen exclusif d’accéder à la connaissance véritable. Le raisonnement est un outil de plus, mais non le seul. En plus, on utilise, lorsqu’on apprend à en disposer, l’intuition, qui est une forme de pensée plus rapide et plus pénétrante.

L’ésotérisme aussi utilise la vérification. Il est impossible d’affirmer une quelconque connaissance si on n’a pas constaté que ladite connaissance peut s’utiliser de façon fluide et correcte en toute circonstance. L’effort, la recherche, la répétition de l’exercice sont non seulement indispensables mais abondent dans l’ésotérisme véritable. Le laboratoire est, dans la majorité des cas, l’homme lui-même ou l’univers entier, car il en est en bas comme il en est en haut.

Par contre, la différence est notable dans la valeur de la transmission des connaissances. L’ésotérisme est fondé sur la chaîne formée par des maîtres et des disciples et l’expérience de l’un contribue à former une part de l’expérience de l’autre, une fois que le disciple s’est suffisamment développé pour pouvoir l’assimiler. Il n’est pas nécessaire de vivre toutes et chacune des choses ; comme disait Platon, il n’est pas nécessaire de devenir voleur pour comprendre que le vol est un délit Assumer les expériences vécues par le maître comme les siennes propres — du moment qu’elles ont été prouvées et vérifiées — fait fructifier le temps, et rend la vie plus longue et plus profitable.

Une tradition qui persiste

L’essor de la pensée dite scientifique n’a pas signifié la disparition de l’ésotérisme ni le rejet de l’intuition. Les méandres que décrit l’histoire sont curieux et, bien qu’en certaines occasions l’ésotérisme ait eu une ample répercussion parmi les peuples, en d’autres occasions il lui a fallu rester caché par suite de l’incompréhension et des persécutions fanatiques qui n’ont jamais manqué.

Il est pareil à un cours d’eau qui parfois coule à notre vue et parfois disparaît dans les profondeurs de la terre, mais toujours coule et toujours se rencontre en un point ou un autre de son parcours.

Le temps et les circonstances ont exercé leur influence sur l’ésotérisme et ont fait qu’il ne répond pas toujours au sérieux de ses véritables racines traditionnelles. Quand déclinent les critères spirituels de conception de la vie, quand les difficultés liées à la survie font que les hommes valorisent à l’excès une existence confortable et se désintéressent des questions profondes, survient un ésotérisme facile et vulgaire, contrefaçon cruelle de ce qu’est la Science sacrée. Alors apparaissent des formes de sorcellerie, des superstitions, des craintes liées à l’inconnu et des conjurations pour alléger ces craintes. La superstition s’oppose à la tradition et les conjurations et les amulettes supplantent la sagesse.

Il est pareil au cours d’eau de notre exemple : ses eaux parfois courent sur un lit de boue et se teintent de la couleur du fond qu’elles suivent. Mais cela n’empêche pas que, plus avant, de l’autre côté d’un coude, le cours d’eau glisse sur des pierres propres et que ses eaux redeviennent cristallines.

Au XXe siècle

Ce fut — et j’emploie le passé parce qu’il ne lui reste que peu de temps pour s’achever — un siècle très curieux. Il s’est ouvert au milieu de révolutions de toute sorte, agitant des drapeaux libéraux, mais sans pouvoir se défaire de l’horreur des guerres et de la mort, des génocides, des affrontements absurdes et de positions obtuses et rigides, totalement opposées aux théories qui étaient prêchées.

Les évidentes inégalités sociales et les injustices encore plus évidentes que provoquaient ces inégalités ont mis l’accent sur les schémas matériels de vie, sur l’obtention du bien-être à tout prix sur le dénigrement du travail et sur l’exaltation du confort que la technique et la science allaient nous procurer au fur et à mesure de leur développement.

C’est ainsi que la machine est devenue plus importante que l’être humain, et que l’être humain cessa d’être l’esclave d’autres êtres humains pour l’être des machines qui étaient censées à l’aider à vivre mieux.

Mais parallèlement au culte de la matière se sont développés sournoisement d’autres cultes apparemment illogiques. Depuis le milieu du siècle, est réapparu le goût pour les prédictions, car la matière était un dieu très exigeant qui contraignait a connaître ses désirs cachés. Beaucoup, qu’ils le reconnaissent ou non, lisaient des horoscopes et des prédictions, recouraient aux herbes magiques et à des sorciers spécialisés, a des guérisseurs connus ou inconnus et à des voyants qui ne dégageaient pas l’horizon obscur d’un avenir opaque et peu concret.

Des images de saints et de la vierge apparaissaient n’importe où, indiquant aux hommes qu’ils n’empruntaient pas le juste chemin. Des prêtres de toutes les religions prédisaient la fin du monde, nous faisant tourner des yeux effrayés vers l’an 2000, comme cela s’était passé un millénaire auparavant. De nouveaux prêtres, de nouveaux cultes ont surgi, des sectes et des moralisateurs qui comblaient n’importe comment l’absence de l’ésotérisme, le vide de l’esprit, la perte de Dieu.

Le siècle arrive à sa fin au milieu des sorciers et de conseillers qui conseillent les leaders parés du plus grand prestige international d’astrologues qui, chaque année, lancent des prophéties plus ou moins exactes, plus ou moins diffuses, pour rester bien avec tout le monde.
L’astrologie gagne du terrain à pas de géant mais, loin de la science qui lui a donné naissance, elle intéresse aujourd’hui comme formule pour obtenir les postes les plus élevés, le prestige social le plus grand, des fortunes plus solides ou bien, sur une petite échelle, pour gagner l’amour de son partenaire ou la loterie de la semaine à venir.
Les exorcismes épouvantables, qu’on ne voyait plus depuis l’ancien Moyen-Âge, pullulent, comme si le diable était revenu s’emparer de la terre et, curieusement, les esprits scientifiques les plus éclairés coexistent avec ceux qui sont convaincus que le diable les guette dans une encoignure pour se faufiler dans un recoin quelconque de leur corps, monstre qu’il faut expulser par quelque moyen que ce soit pour que ne nous abandonne pas la félicité tant rêvée de ce monde, ici et maintenant.

Le pouvoir économique recourt au pouvoir ésotérique

Sur les marges de ce pseudo-ésotérisme néfaste et sans éclat qui a gagné les dernières décennies, il semblait rester les hommes d’affaires, les matérialistes endurcis qui ne vivent que pour accroître leur puissance économique et sociale. Mais l’économie aussi se voit prise dans ce souffle de folie… ou peut-être dans cette étrange avancée d’un nouvel ésotérisme qui s’ouvrira un passage dans les années à venir.

On ne trouve plus effrayant ni bizarre que l’intégralité du monde des finances ait ses sorciers ou ses gourous, que la bourse des valeurs et les hausses et les baisses des marchés internationaux soient également soumises aux prémonitions que quelques « experts » lancent comme une boule dans les rangs de leurs croyants et de leurs adeptes.

Pourquoi des gourous ? Pourquoi recourir à ce terme sanscrit qui a une saveur orientale marquée ? Est-ce que le souvenir des grands maîtres qui ont vécu là-bas, à l’Est, dans l’Asie millénaire, ne s’est pas effacé de la mémoire subconsciente ? L’Orient garde encore le secret qu’ont cherché tant et tant de philosophes antiques dans leurs longues pérégrinations, ou Alexandre le Grand dans ses conquêtes, ou les voyageurs du siècle passé, avides de miracles, ou les touristes modernes qui continuent à payer pour voir léviter un moine qui n’est pas moine et qui ne lévite pas !

« Gourou » veut dire maître, et l’emploi de ce mot veut peut-être dire que les êtres humains continuent à chercher des maîtres, même si c’est dans le domaine pratique et matériel de l’existence.

C’est ainsi que prolifèrent ces nouveaux prophètes, qui utilisent des systèmes variés pour entrouvrir l’avenir et ses inconnues devant l’anxiété de ceux qui ne peuvent voir plus loin que leur nez. Il y en a qui s’appuient sur des doctrines traditionnelles pour prédire le lendemain, par-dessus tout sur la doctrine des cycles qui enseigne que tout dans l’existence est circulaire,
qu’un développement linéaire et ininterrompu n’existe pas ; les choses vont et viennent, les faits se répètent avec de légères variantes et les astres, dans leur céleste langage, écrivent avec des lettres spéciales ce qui doit arriver à la Terre et à ses habitants humains. Il y en a qui affichent un bon sens efficace et, sur la base d’analyses exhaustives, parviennent à des conclusions logiques qui ne sont des prophéties que pour ceux qui sont incapables d’utiliser la raison et de lier de façon adéquate les raisonnements.
À quoi assistons-nous ? A une régression superstitieuse qui s’en remet à des prophéties douteuses, ou à une logique d’avancée ? Il est évident que les hommes pragmatiques, les hommes de science, les hommes qui sont attachés au développement technique, pencheraient vers la seconde réponse.

Ce n’est pas que nous nous trouvions devant des mages ou des gourous ésotériques, mais devant de remarquables analystes en possession d’une logique rationnelle, qui, dans ce cas, se consacrent à prévoir — qu’à prophétiser — ce qui peut arriver dans le monde des finances, monde dont on espère tant ces temps-ci et qu’on redoute tant, comme s’il était une fragile construction prompte à s’écrouler devant le caprice des événements.
Cependant, ces analystes, ces sorciers rationnels, ne peuvent éviter la rupture des solides barreaux de l’analyse et de la raison. Même les plus sérieux d’entre eux acceptent l’incontestable valeur de l’intuition et confessent capter une certaine « ambiance » qui leur permet de s’orienter dans leurs affirmations.

Au milieu de l’ésotérisme de salon ou de l’ésotérisme terrifiant qu’on nous a habitués à supporter, brillent des étincelles de ce que pourrait être l’ésotérisme à venir. Il est curieux que, dans le temple de la matière, sous le règne de l’argent, pointe à nouveau timidement la racine de l’esprit, du pouvoir de l’intuition, la sensation de fragilité devant un destin qui ne nous appartient pas parce que nous n’avons pas su le construire, la crainte devant un avenir qui parfois se teinte de rose pour nous ouvrir les yeux devant le noir et le gris que nous avons laissé se développer autour de nous.

Oui, nous avons besoin d’avoir à nouveau des maîtres, nous avons besoin de croire et, par-dessus tout, nous avons besoin de protéger nos croyances et notre foi en des connaissances qui apportent des réponses sereines et adéquates à nos doutes et à notre ignorance. Mais pour avoir des maîtres, il faut savoir se convertir en disciples ; pour croire il faut retrouver celui en qui croire et avoir foi ; pour savoir véritablement et en profondeur il faut retrouver cet ésotérisme traditionnel qui, s’il a aidé l’humanité à ouvrir des portes et des fenêtres au milieu de la douleur et de la confusion.
Ce n’est pas en vain que nous sommes sur le point d’entamer un nouveau siècle, un nouveau cycle, une nouvelle voie dans l’éternelle spirale de la Vie.

N.D.L.R. Le chapeau a été rajouté par la rédaction

Article paru dans la Revue Acropolis n° 125 (mai-juin 1992)

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