Un philosophe face à la mort !

Auteur: Par Jorge Angel LIVRAGA

libéré 25-10-2021

Quelle est, philosophiquement parlant, la signification de la mort ?

Aussi loin que remonte l’Histoire – les siècles du passé humain qui nous sont suffisamment connus – la mort et la naissance ont nourri le sens métaphysique des coutumes et les religions. De façon encore plus lointaine, au cours de la proto-histoire et même de la préhistoire, la mort a constitué une préoccupation importante pour l’humanité, comme on peut le déduire des nombreux vestiges qu’on a trouvés, vêtements, ex-votos, pierres commémoratives, encensoirs, etc.

Pour la philosophie acropolitaine, la mort, comme la naissance, est un acte de passage, dans la grande vie Une. On peut illustrer cela en prenant l’exemple du dauphin, comme on le faisait dans les anciens mystères en Grèce. Cet animal marin apparaît et disparaît à la vue des gens. On pourrait croire, lorsque le dauphin plonge, qu’il meurt. Or nous savons qu’il vit alors dans un autre milieu et qu’il réapparaîtra. Quant à savoir s’il s’agit du même dauphin ou pas, c’est un sujet qui a été abordé par de nombreux métaphysiciens du passé, depuis Héraclite, dit l’Obscur (1), jusqu’à Siddharta Gautama (2). Parce qu’il semble que, lorsque nous mourons, quelque chose en nous meurt et quelque chose demeure.

Selon les anciens enseignements ésotériques, ce qui demeure se réincarne sous de nouveaux vêtements, dans un nouveau corps, une fois le temps venu. La partie qui meurt définitivement, qui est la partie de la personnalité la plus extérieure, la plus évidente pour nous, resterait reflétée dans les annales akhashiques (3) et en tant qu’élément d’expérience pour le Soi qui se réincarne, l’étincelle spirituelle et « vitale » (au sens où l’entendaient les Egyptiens) qui, va, vie après vie, traversant le temps, vers le destin que les dieux lui ont réservé.

La mort est-elle un phénomène naturel ?

C’est un phénomène aussi naturel que la naissance. Et l’une et l’autre continueront à exister, même lorsque le monde manifesté tel que nous le connaissons aura disparu car il continuera sous un tout autre aspect, et tant qu’il sera dans la dualité, une partie en lui mourra et une autre survivra. Tous les êtres et toutes les choses possèdent ces deux parties essentielles qui se conjuguent dans une grande finalité.

Pourquoi, alors qu’elle est un phénomène naturel, l’être humain a-t-il si peur de la mort ?

Il s’attache trop à son corps physique donc à ce qui meurt. S’il s’attachait un peu plus à ce qui n’est pas strictement physique, à ce qui est plus spirituel et métaphysique, il perdrait progressivement sa peur de la mort.

De toutes manières, selon certains, nous partageons la peur de la mort avec les animaux, avec les plantes aussi et tous les êtres manifestés. Car tout changement inclut, d’une certaine façon, un danger, réel ou imaginaire, mais danger cependant.

Une éducation qui prépare mieux à la mort et aide à mieux vivre est-elle possible ?

Oui, elle est possible. Mais il y a toujours un programme génétique, comme il y a un programme psychologique et spirituel, qui nous amènera inexorablement à vivre les expériences dont nous avons besoin.

Il faut être prudent en ce qui concerne cette éducation. En effet, on constate que les religions exotériques, souvent dans le désir qu’elles ont de libérer l’être humain de la peur de la mort, le plongent dans de véritables mensonges. Elles transposent de simples réalités quotidiennes en sujets métaphysiques. Ainsi, certaines religions d’Orient, comme le brahmanisme actuel, considèrent les vicissitudes de la vie, la pauvreté, la maladie, la peste, comme des moyens métaphysiques pour atteindre rapidement la libération finale. Or ce n’est pas conforme aux anciens textes orientaux. Cela a été ajouté au fur et à mesure que ces religions perdaient force et vigueur.

Un autre exemple typique est celui du christianisme. Né au sein d’un peuple pauvre, dépossédé, châtié et très fermé dans ses croyances, il a affirmé que ceux qui souffrent sur terre sont ceux qui connaîtront le bonheur au ciel. Et il a remplacé les solutions concrètes, pratiques, économiques et sociales par la promesse d’un monde meilleur auquel nous accèderions lors d’une fin du monde qu’il a toujours crue proche, et liée à un jugement dernier qui amènerait les bons à jouir de ce dont ils n’ont pas joui sur la terre. C’est en quelque sorte un hédonisme, une quête du plaisir que peut-être l’Ecole d’Epicure (4) a traité avec plus de profondeur philosophique que le christianisme.

Avez-vous vécu des expériences de contact avec la mort ?

Tout philosophe vit dans la présence constante de la mort car elle fait partie de la vie. J’ai eu la chance de pratiquer certains exercices qui m’ont permis de sortir de mon corps physique et de constater que je continue à exister dans un corps qui n’est pas strictement physique et dans un monde que les ésotéristes occidentaux appellent « astral ». Il est évident pour moi que le point de vue qu’on a depuis cet autre monde est différent de celui qu’on a dans ce monde-ci. Il y a des choses que nous valorisons dans ce monde et que nous ne valorisons pas dans l’autre et vice-versa.

Ce serait le grand changement qui nous attend tous quand nous mourons. Platon l’explique dans le mythe d’Er, à la fin de la compilation actuelle de La république, lorsqu’il parle du passage des âmes à travers les eaux du fleuve Léthé, où elles oublient leur dernière incarnation pour faire face de façon fraîche et dynamique à leur nouvelle incarnation, le nouvel « acte » à vivre. C’est également sensible dans la tragédie, par exemple dans les œuvres d’Eschyle, qui tentent d’expliquer ce renouvellement constant de la Vie à travers la vie et la mort, dans ce cas, à travers les mystères d’Eleusis (5).

Jorge Angel Livraga

(1) Philosophe grec ( VIe-Ve siècles avant J.-C.), surnommé l’Obscur en raison du caractère extrêmement condensé et énigmatique des fragments qui nous restent de ses écrits. Sa pensée est fondée sur la conciliation des couples de contraires (le bien et le mal, le jour et la nuit, etc.) et il est souvent considéré comme le père de la pensée dialectique moderne.

(2) Nom du Bouddha avant qu’il atteigne l’illumination.

(3) Sorte de mémoire cosmique où sont consignés les actes de tous les êtres humains.

(4) Philosophe grec (IVe-IIIe siècles avant J.-C) Il est surtout connu pour son éthique qui prône la recherche du bonheur, par la satisfaction des seuls désirs naturels et nécessaires, qui procure le plaisir, et en évitant et relativisant le mal et la douleur.
L’épicurisme, au sens communément admis de simple recherche du plaisir, constitue une déviation de sa doctrine.

(5) Rites de la Grèce antique, au cours desquels les Athéniens étaient initiés au mystère de la vie et de la résurrection du monde végétal, associé aux déesses Déméter et Perséphone.

JORGE ANGEL LIVRAGA

Né le 3septembre 1930, l’auteur de ces propos recueillis en août 1991 à Majorque par Laura Winckler, Jorge Angel Livraga, a quitté définitivement son corps le 7 octobre 1991, dans sa soixante-deuxième année.

Son oeuvre s’inscrit dans la ligne de celle d’Héléna Pétrovna Blavatsky qui fut, au siècle dernier, à l’origine de la Société Théosophique. En 1957, à l’âge
de 27 ans, il fonda Nouvelle Acropole, qu’il définissait comme une école de philosophie à la manière classique.

Trente-trois ans se sont écoulés depuis lors. Aujourd’hui, dans plus de cinquante pays, des milliers de nos contemporains y partagent, par delà les distinctions de sexe, de races, de croyances et de nationalités et les conflits qu’ils peuvent engendrer, une même démarche initiatique, adaptée aux temps difficiles que nous avons à vivre. A leur mesure, modestement, tenacement, ils y construisent un monde plus fraternel et travaillent à l’émergence de l’immense potentiel enfoui, encore inexploité voire insoupçonné, en chaque être humain.

C’est leur tâche de poursuivre, avec tous ceux qui viendront les rejoindre, l’ouvre commencée par celui qui était et restera pour eux JAL.

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