En 1987, au cours d’un entretien accordé à Délia Steinberg Guzman, qui lui a succédé à la direction de la O.I.N.A. (Organisation Internationale Nouvelle Acropole), Georges Livraga a apporté, sur l’esprit, le fonctionnement et l’objectif du mouvement qu’il a fondé, des précisions et des éclaircissements dont nous reproduisons ci-dessous de très larges extraits.
Délia Steinberg Guzman : Jusqu’à quel point, lorsqu’un mouvement est fondé, s’agit-il de quelque chose de neuf ou de la répétition d’autres éléments similaires, antiques ou contemporains ?
Georges Livraga : À l’époque actuelle, nous vivons aliénés par un principe dialectique : les choses sont noires ou blanches : nous ne pouvons quasiment pas concevoir que le gris existe. Cela me rappelle un enseignement que mon maître sri Ram, qui disait qu’il n’existait rien de blanc ni de noir, mais seulement différentes tonalités de gris ; tant que nous sommes incarnés, nous ne pouvons accéder aux valeurs absolues.
Ces idées ne sont ni jeunes ni veilles, bien plutôt elles ont toujours existé et comme tout, elles réapparaissent comme le soleil le matin, comme le printemps ou l’hiver ; autrement dit, elles se réincarnent et prennent des formes nouvelles. Je crois que l’idéologie de Nouvelle Acropole a existé à diverses reprises dans le monde sous d’autres noms, et que lorsque ce nom aura été usé et détruit par les siècles, elle en prendra d’autres et continuera ainsi ?
D.S.G. : Pourrait-on dire que Nouvelle Acropole est la continuation d’un de ces mouvements philosophiques de l’Antiquité, ou bien quelque chose de particulier à ce moment historique ?
G.L. : Elle est la continuation de ces mouvements philosophiques, mais elle est à la fois propre à ce moment historique, de la même façon qu’aucun printemps ne peut se répéter, bien qu’il soit la continuation des milliers de printemps qu’il y a eu auparavant dans le monde…
D.S.G : Pourquoi vous référez-vous à la philosophie de Nouvelle Acropole comme à une « philosophie à la manière classique ? »
G.L. : C’est pour la différencier de ce que l’on entend aujourd’hui par philosophie. Depuis l’époque de Descartes, et particulièrement durant le XXe siècle, la philosophie est quelque chose d’abstrait qui traite seulement des causes premières, de l’être, mais ne se soucie pas de certaines réalités quotidiennes et pratiques.
La philosophie classique ne se consacrait pas à l’étude ancienne exclusive des causes et des noumènes, mais aussi — comme on le voit chez Platon — aux nécessités politiques, sociales et économiques que peut avoir l’homme.
D.S.G. : Comment concilier ce concept de philosophie à la manière classique avec ce qui est ésotérique, comme vous l’avez fait durant votre jeunesse ?
G.L. : parce que, à la base de toutes les philosophies classiques (nous appelons ainsi celles qui viennent de l’Antiquité pré-chrétienne bien qu’elles se soient ensuite prolongées), il y a toujours eu un fond ésotérique. La philosophie est la recherche de la vérité, et la découverte de cette vérité inclut une forme de « théosophie » (indépendamment de la Société Théosophique), c’est-à-dire une connaissance des dieux et ses expressions formelles.
D.S.G. : Cette philosophie à la manière classique a-t-elle ses racines en Orient ou en Occident ?
G.L. : je la placerai à travers toute la Terre, étant donné que, selon les moments d’apogée, on l’a trouvée en Orient, en Occident, dans un continent américain et en d’autres lieux que nous ne connaissons plus parce que la recherche archéologique ne s’y intéresse pas.
D.S.G. : Pourquoi alors le nom de Nouvelle Acropole qui nous amène plutôt au classicisme grec et aux racines occidentales ?
G.L. : Je suis un Occidental, je travaille et je parle pour des Occidentaux, et il est naturel qu’à ses débuts, — bien qu’elle soit en train de s’étendre à toutes les parties du monde — Nouvelle Acropole ait été un mouvement occidental.
Dans la mesure où le mot Acropole signifie « cité haute », cela aurait pu se dire en sanscrit ou en tout autre langue, mais ceux qui m’entouraient alors n’auraient pas compris, non plus ceux qui me lisent aujourd’hui. Il est évident, que je ne me réfère pas à une cité haute de briques ou de ciment, mais haute dans le sens spirituel.
D.S.G. : À travers ces trente années d’expérience, pouvez-vous nous parler des méthodes, des disciplines ou directives qu’utilise Nouvelle Acropole pour concrétiser son œuvre ?
G.L. : Nous essaierons de résumer cela en quelques mots. Je crois, comme je l’ai toujours cru, que l’éducation peut faire beaucoup pour l’homme. Nous ne souhaitons pas une race de génies ou de surhommes, mais simplement de gens qui se respectent eux-mêmes et respectent les autres, qui croient fondamentalement en Dieu. Pour que puissent exister des gens comme ceux-là, nous ne pouvons donner une éducation nouvelle, une organisation nouvelle. Mais pour y arriver, il faut le faire petit à petit. Nous ne sommes pas pressés, nous ne voulons pas conquérir le monde. Nous voulons nous conquérir nous-mêmes, et projeter ensuite sur les autres ces systèmes de base de rencontre avec soi-même, avec la Nature ; savoir ce que nous lèguent les philosophes de l’Antiquité, voir les failles des systèmes qui nous gouvernent… Enfin un ensemble d’éléments qui vont créer ce que j’appelle « l’homme nouveau » ; c’est un être nouveau qui ne va pas naître demain ni d’ici cent ans. Mais peut-être d’ici quelques siècles, qui existe cependant en germe dans cette nouvelle Acropole philosophique, dans plus de quarante pays.
D.S.G. : Attribuez-vous à Nouvelle Acropole un caractère messianique, et vous considérez-vous comme le canalisateur de ce rôle ?
G.L. : Je n’aime pas le mot messianique parce qu’il a des connotations religieuses que n’a pas Nouvelle Acropole. Nouvelle Acropole n’est pas une religion ni une secte. Par contre, je considère que cette forme philosophique de renouvellement, cette écologie spirituelle, peut nous laver de la crasse du matérialisme athée, de la violence déchaînée, de la pornographie, de l’abus de drogue et de tout ce qui entrave le développement de notre jeunesse, pour arriver à construire un monde plus juste, meilleur et plus beau.
D.S.G. : Vous affirmez que Nouvelle Acropole n’est pas une religion, mais dans le programme d’études apparaissent des thèmes en relation avec les différentes religions antiques et avec les symboles religieux de tous les temps. Comment expliquer cela ?
G.L. : — Le mot religion — comme le mot Yoga en sanscrit — signifie réunion : réunion des hommes entre eux, et des hommes réunis en Dieu ; le mot ecclesia, église ; a une signification similaire.
Non, Nouvelle Acropole n’est pas une religion dans le sens actuel, si on la compare aux religions existantes et connues. Par contre, c’est une ré-union, un se re-lier des hommes entre eux, qui constitue le premier des principes que nous soutenons : former un noyau de fraternité universelle au-delà des différences de couleur, de sexe, de nationalité », etc., pour obtenir un noyau uni, capable de traverser l’âge qui approche, que je considère comme un âge obscur, un Nouveau Moyen-âge.
Par là, je ne veux rien signifier de catastrophique, mais quelque chose d’aussi naturel que la systole et la diastole du cœur, comme l’hier et l’été parmi les saisons. De la même façon, dans le déroulement des civilisations il y a des époques de plus grande et de moindre lumière. Celle qui approche est une époque de faible lumière, d’obscurité, de violence, de persécutions, et je crois qu’un groupe suffisamment fort et instruit peut aider à la préservation des éléments culturels, comme cela est arrivé lors du Moyen-Âge occidentale antérieur, à travers quelques groupes qui ont rendu possible une renaissance ultérieure.
D.S.G. : Toutes les religions peuvent-elles entrer à Nouvelle Acropole ?
G.L. : Toutes le peuvent, parce que les religions ne sont rien de plus que des formes exotériques d’une vérité unique. Qui a lu et étudié soigneusement tous les livres religieux, aura vérifié que les religions sont des adaptations historiques et géographiques d’une unique vérité qui s’exprimer chez les peuples de façon différente.
Quant à nous, nous cherchons la vérité, pas son « emballage » : c’est le contenu qui nous importe.
Il n’empêche que si quelqu’un de ceux qui viennent à Nouvelle Acropole professe une religion, personne ne s’y opposera, si et quand il ne se livre pas à l’intérieur de Nouvelle Acropole à un prosélytisme qui ferait que ceux qui suivent d’autres religions se sentent rejetés. Nous ne voulons rejeter personne : que tous viennent, que tous restent, que tous puissent développer cet idéal philosophique.
D.S.G. : Dans ce cas, plutôt que d’une religion, pourrait-on parler d’une philosophie religieuse ?
G.L. : Parler de philosophie religieuse est également dangereux aujourd’hui, parce qu’on pourrait nous inclure dans le chapitre des « sectes ». Ainsi va la mode. Nouvelle Acropole n’est pas une secte ni un mouvement religieux : c’est une école de philosophie à la manière classique.
D.S.G. : Et pourrait-on parler d’une philosophie politique ?
G.L. : Elle n’est pas non plus politique au sens actuel. Quand Platon parlait de politique, il se référait à tout ce qui concernait les hommes rassemblés dans une cité ; si nous l’employons dans ce sens, nous pouvons dire que nous avons un intérêt politique concernant l’édification d’une polis, d’un groupe humain. En revanche, cela n’est pas conforme au critère actuel, qui entend par politique des partis orientés dans l’un ou l’autre sens.
D.S.G. : Existe-t-il à Nouvelle Acropole une discipline particulière concernant la manière de vivre, la nourriture, les vêtements, les horaires d’exercices, etc. ?
G.L. : II n’existe aucune formule qui puisse limiter la liberté de l’homme ; nous sommes respectueux de la liberté individuelle. Nous proposons, c’est vrai, un plan d’études, un plan de réflexions, un ensemble d’exemples plutôt que des normes de vie, pour éloigner la jeunesse de la violence, des drogues, de l’inaction complice. Mais nous ne donnons pas de règles obligatoires. Au contraire, nous essayons d’éveiller (c’est le véritable sens de l’éducation), d’éduquer ce qu’il y a de bon, de beau, à l’intérieur de chacun.
D.S.G. : Nouvelle Acropole offre-t-elle une forme d’initiation ?
G.L. : Si on entend par initiation l’ouverture, le début d’un chemin, oui, comme l’offre par exemple la faculté de médecine quand elle initie le candidat à l’anatomie, la pathologie, etc. Si on entend par initiation ce qui est tant à la mode aujourd’hui : un ensemble de croyances plus ou moins absurdes s’appuyant sur des phénomènes parapsychologiques, non.
D.S.G. : Se livre-t-on à Nouvelle Acropole à des pratiques parapsychologiques et occultes et à des exercices déterminés pour éveiller des pouvoirs intérieurs ?
G.L. : Pas pour le moment. Dans un futur lointain, peut-être. Maintenant non, parce que les hommes n’y sont pas préparés. Le matérialisme qui nous gouverne est tel qu’on croit qu’il est possible de développer des vertus spirituelles à travers des phénomènes parapsychologiques, qui ne sont que les effets et non les causes de transformation de l’être. Je crois qu’il faut aller au fond des choses et ne pas rester à la surface. Il n’est pas question d’enseigner l’hypnose à quelqu’un et de lui faire croire qu’il a atteint avec cela le ciel des justes … Il importe bien plutôt de lui apprendre à se dominer lui-même avant de prétendre dominer les autres, car le contraire conduit à une des pires formes de tyrannie.
D.S.G. : Comment expliquez-vous, alors, le fait qu’on associe Nouvelle Acropole à une philosophie politique ou religieuse, ou dans le langage actuel à une secte politique ou religieuse ?
G.L. : C’est un phénomène de notre époque, dont nous ne sommes pas les responsables mais les victimes. II existe aujourd’hui un certain nombre d’épouvantails qu’on brandit pour couvrir les défauts des· systèmes en vigueur. II faut s’attendre à ce que les systèmes matérialistes, qui prétendent tout cataloguer avec leurs épouvantails, le fassent aussi avec nous. Et comme nous ne relevons d’aucune des formes actuelles, ils essaient de nous apparenter à des formes anciennes. C’est ainsi qu’on nous dit « nazis », « orientalistes », « spirites », etc.
D.S.G. : Pourquoi ne lie-t-on pas Nouvelle Acropole à l’art et à la science, alors que la majeure partie des activités qu’on y réalise sont précisément de type philosophique, artistique et scientifique ?
G.L. : Le monde actuel, avec ses failles et ses structurations matérialistes, nous combat évidemment. Dans ce combat, reconnaître que nous avons des intérêts artistiques et scientifiques rendrait notre position plus acceptable. Pour la rendre plus inacceptable, on nous met en relation avec ce qui est considéré comme dépréciateur. Il est plus facile de dire que Nouvelle Acropole est un groupe néo-nazi qu’une association qui s’intéresse à la science, à la religion, à l’art, à la politique, qui peut étudier toutes les formes qui ont existé dans l’antiquité et se projeter dans des formes à venir.
D.S.G. : En ce qui concerne l’organisation interne, Nouvelle Acropole est régie par le système pyramidal. Est-ce que tout ce que ce système implique d’ordre et de discipline ne crée pas un rejet ? Cela n’est-il pas un obstacle pour un certain nombre de gens ?
G.L. : De nos jours, les gens redoutent toute forme de discipline, d’engagement. II y a beaucoup d’égoïsme ; chacun veut vivre sa vie, sans se soucier du dommage que cela cause aux autres. Quant à nous, nous essayons de faire quelque chose de nouveau et de différent, bien que nous appuyant sur des valeurs très anciennes. Ainsi, une certaine discipline de vie, d’action, d’étude, est nécessaire pour former l’homme. Si, par exemple, quelqu’un veut réussir une composition musicale ou architecturale, il va falloir qu’il respecte certaines lois, une certaine discipline …
C’est ce que nous faisons à Nouvelle Acropole : pour reconstruire un monde à la manière classique, il faut que nous suivions certaines voies qui ont été essayées pendant des millénaires et qui nous paraissent efficaces.
D.S.G. : Que pensez-vous des détracteurs de Nouvelle Acropole ?
G.L. : Je pense qu’ils perdent leur temps, puisque nous ne commettons aucun délit moral. Leurs paroles peuvent ébranler certaines personnes, elles peuvent créer des problèmes d’ordre secondaire, elles peuvent emplir des pages de la presse du cœur ou de revues d’actualité ; mais elles ne peuvent faire plus, elles ne peuvent toucher l’esprit de Nouvelle Acropole.
D.S.G. : Et que pensez-vous de ceux qui vous suivent ?
G.L. : Tout d’abord, ils ne me suivent pas. Je n’ai jamais eu la prétention que personne me suive. Ils partagent simplement une idéologie que je partage également. Ils ne me suivent pas : ce sont mes disciples. Il y a une différence entre celui qui suit et un disciple : le premier répète de façon automatique et mécanique ce que lui indique le chef d’un groupe ou d’une secte ; le disciple qui appartient à une école de philosophie trouve son inspiration dans les enseignements de son maître, dans les vérités qu’il apprend, jusqu’à arriver à interpréter le monde d’une façon nouvelle
et meilleure.
D.S.G. : Remarquez-vous des changements importants dans le monde entre le moment où vous avez fondé Nouvelle Acropole et aujourd’hui ?
G.L. : Oui, très importants ; en général, le monde souffre d’une détérioration morale. De plus, le monde est atteint d’un complexe de frustration important, parce que le matérialisme, dans toutes ses acceptions, lui a promis un nouvel Age d’Or. Lorsque j’étais enfant, on disait qu’en l’an 2000 il n’y aurait plus de pauvres, que personne ne manquerait de travail ou d’argent, qu’on pourrait prendre des vacances sur la Lune ou sur Mars, que l’analphabétisme aurait disparu… Et nous nous retrouvons aujourd’hui avec la moitié du monde qui ne sait ni lire ni écrire, la moitié du monde meurt de faim, deux hommes en tout et pour tout ont marché sur la lune il y a quinze ans, et il n’est plus·possible, pour le moment, de poursuivre la conquête spatiale ; il y a toujours plus de délinquants, l’injustice .et l’oppression se manifestent de façon toujours plus radicale.
Je vois que le monde se détériore rapidement, et cela justifie encore davantage le fait que je consacre toutes mes énergies, dans les années qui me restent, à consolider Nouvelle Acropole.
Si je n’avais pas été à l’origine de ce mouvement, quelqu’un d’autre l’aurait été. Car je crois que ce mouvement est une nécessité historique, plutôt qu’une création humaine …
« Dieu est pour moi la plus grande évidence, parce que Dieu se reflète dans tout ce qui m’entoure, dans tout ce que je peux percevoir, entendre et appréhender par l’intuition. »
Georges Angel Livraga
Édité dans la revue de Nouvelle Acropole N° 128 (novembre décembre 1992)
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