« Pour pouvoir « trouver un peu de tranquillité » au sein de la hâte, il faut t’y évertuer auparavant lorsque tu es tranquille. Si tu veux « gagner un peu de calme » au sein du vacarme, il te faut atteindre auparavant la maîtrise de la quiétude. Sans cela, tout en chacun peut être influencé par les situations et dépassé par le cours des évènements » Huanchu Daoren environ 1600 av. J.-C.
Il est fréquent de tomber dans l’erreur de croire que les idées importantes s’apprennent mentalement, qu’il est suffisant de les comprendre pour qu’elles fassent déjà partie de nous. On ne peut éviter que le mental soit une des portes principales par lesquelles entrent les enseignements, mais cela ne veut pas dire que les enseignements aient été intégrés par ces seules voies. L’action, l’application des enseignements, sont fondamentales. Et pas seulement cela : il faut des actions prolongées, beaucoup d’essais – et beaucoup d’erreurs patiemment corrigées – pour qu’on puisse affirmer qu’on sait quelque chose. Voilà, en bref, ce qui se dégage de la phrase du sage chinois placée en tête de cet article.
La vie quotidienne nous met face à diverses circonstances, pas toujours faciles à supporter. Le besoin de survie occupe une bonne partie de notre temps et de nos énergies : parfois dans des travaux qui nous plaisent et répondent à notre vocation ; parfois dans des activités que nous devons réaliser sans pouvoir faire autrement. Mais dans l’un et l’autre cas, les heures utilisées sont nombreuses la compétence engendrée par l’exigence de productivité illimitée est immense et, pour survivre, il faut s’ajuster à ce rythme. Au moins en partie.
D’un autre côté, la vie commune avec les personnes qu’on aime, ou simplement qu’on connaît, passe par de sérieuses difficultés : parce que la hâte, le manque de temps, l’anxiété de ne pouvoir jamais faire tout ce qui est en instance sont source d’irritabilité, quand ce n’est pas d’agressivité et de violence.
Dans la mesure où nous pouvons modifier ces circonstance, nous devrions nous y employer de toutes nos forces, car même si la tyrannie de la subsistance économique est grande, notre habileté et notre imagination pour gagner notre vie dans abandonner la vie intérieure et la pratique d’un idéal devraient être grandes aussi.
Il y a quelque chose de plus simple encore à faire, quelque chose qu’on peut commencer à inclure aujourd’hui même dans nos pratiques de formation de la personnalité. Il s’agit d’acquérir la tranquillité et la quiétude intérieure – en tant qu’éléments qui nous appartiennent en propre et aux racines profondes – pour les utiliser chaque fois que les circonstances le demandent.
Nous nous voyons touché par la hâte, par le temps qui coule comme du sable entre les doigts, par les mille choses qu’il faut faire au cours de la journée, sans que nous sachions comment les caser ni à quel moment. La hâte sans état d’âme tranquille qui l’équilibre conduit à une telle angoisse qu’elle détruit finalement la personnalité, nous rendant inutilisables pour tout travail, aussi simple soit-il. Celui qui veut faire beaucoup, mais ne sait pas le faire avec une âme reposée, finit par ne rien faire, ou le faire mal à moitié, laissant insatisfaits les autres et lui-même.
Il faut donc essayer la tranquillité intérieure. Cependant, pas dans les moments d’urgence mais précisément, au contraire, quand nous connaissons une paix relative. Nous devons bien intégrer ce que nous expérimentons en ces instants, le reconnaître au point de pouvoir le répéter à volonté, au début pas en pleine urgence, jusqu’à ce qu’à la fin, quand les situations sont pressantes, nous sachions recourir à cette tranquillité que nous aurons créée grâce à de nombreux essais et beaucoup de patience.
Mais rappelons-nous : la qualité de la tranquillité d’âme se conquiert dans des moments de sérénité, quand nous pouvons apprécier le prix de cet état de conscience. Ensuite, il pourra être appliqué quand il semble que nous soyons débordés par la rapidité des événement.
Il se passe la même chose en ce qui concerne le calme nécessaire au milieu de grands vacarmes, au milieu de la foule qui nous happe parfois, de l’excès de voix et de bruits, des personnes qui nous distraient, des douzaines de questions qui surgissent à la fois de ceux qui veulent des réponses immédiates ; de la musique indésirable et de tant d’autres circonstances que nous ne pouvons éviter.
Celui qui cède à une telle tentation se verra en quelques minutes dominé par l’hystérie, au point qu’il peut arriver que, perdant le contrôle de ses idées, de ses émotions, il devienne violent dans ses réactions et se révèle incapable d’agir correctement et rapidement. Au milieu du tumulte, il faut atteindre un havre de paix. Mais cela n’est pas si facile à atteindre.
Encore une fois, il faut faire l’essai, avant et en dehors de ces foyers où la quiétude est absente, de la quiétude souhaitée. Il faut pratiquer à plusieurs reprises le calme intérieur, en devenir l’ami, savoir le reproduire dans des occasions divers, au point de le dominer comme s’il s’agissait de nos propres mains. Ce n’est qu’ainsi, et avec la persévérance, qu’il sera possible d’agir avec calme même si extérieurement – ou intérieurement – rugit le fracas de la tempête.
La vie est un grand théâtre. Ce n’est pas un théâtre pour faire semblant, pour assumer des rôles différents de notre personnalité, pour échapper à la réalité. C’est un théâtre parce que nous sommes des acteurs irremplaçables, et parce que notre devoir est de jouer un rôle. En tant que bons acteurs, il nous faut essayer nos attitudes, nos paroles, nos sentiments, chaque pas que nous faisons. Il nous faut préparer avec soin avant d’agir pour nous assurer que nous saurons faire comme nous voulons.
Il est certain que les situations peuvent nous influencer, et aussi, par moments, nous faire sentir qu’elles dépassent nos possibilités. Mais nous avons un trésor extraordinaire : des enseignements que nous ont laissé les sages de tous les temps, comme celui de Huanchu Daoren, qui nous offrent la possibilité de surmonter ces situations. Nous n’avons qu’à appliquer les enseignements et en pas attendre la tempête pour vérifier si nous savons manier les rames d’une embarcation. Il nous faut apprendre à naviguer dans la tempête.
Traduit de l’espagnol par Marie-Françoise TOURET
N.D.L.R. : les intertitres ont été rajouté par la rédaction Article paru dans la revue Acropolis N° 175 Septembre 2002