L’art merveilleux d’être soi-même

Auteur: Par Délia STEINBERG GUZMAN

libéré 05-11-2018

« Si tu empruntes un chemin que tu construis chaque jour de tes propres mains, tu arriveras à l’endroit où tu dois être. »

se connaître, s’est parcourir un chemin vers soi-même. C’est une quête au quotidien qui se construit avec courage jour après jour.

Qu’est-ce qu’être soi-même ? Ce n’est pas uniquement le bien-être physique et émotionnel. Cela demande de construire un chemin avec patience, un lieu où nous pouvons nous rencontrer nous-mêmes. La philosophie peut nous y aider.

La quête ininterrompue de Sagesse qui emplit la vie de ceux qui ne craignent pas de s’appeler philosophes, la recherche et la découverte de leur propre être intérieur, occupent, parmi leurs activités quotidiennes, une place de choix.
Cette démarche, qui bien souvent, peut mener à un égoïsme incontrôlé si elle n’est pas régie par une saine vocation morale, est le reflet de la recherche et de la découverte des grandes lois de l’Univers. Après tout, l’aphorisme hermétique qui nous rappelle que « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », n’a rien perdu de sa réalité malgré l’écoulement des siècles.

Il revient à la philosophie la quête et la rencontre de ces vérités qui aident à construire le cadre complexe de l’existence.
Et grâce à cet esprit d’investigation, surgissent en nous de petites ou de grandes inspirations issues du conseil d’un sage antique, maxime oubliée, enterrée près des tombes de ceux qui ont vécu dans sa lumière. Mais peu importe le moment où notre présent nous permet de revivre des enseignements profonds comme celui de l’épigraphe qui commence cet article. Elle est brève, concise, et frappante comme pour nous obliger à arrêter la marche folle du mental et à toucher, mot après mot, le contenu de ces clés simples qui donnent accès à l’art merveilleux d’être soi-même.

Être soi-même est souvent réduit à une simple formule qui se rapporte au bien-être et à la bonne conservation du corps, et, naturellement, à la satisfaction d’une psyché désordonnée dominée par des idées confuses : selon cette acception, être soi-même c’est tout au plus se laisser porter, se laisser pousser par l’existence, n’obéir à rien ni à personne, et encore moins à soi, parce que ce « soi » n’a pas encore fait acte de présence véritable dans la conscience.

Mais il est impossible d’éluder la rencontre avec le Moi. Certains vivent leur passage sur terre, prisonniers de la peur de la mort ou de l’inconnu, ou de la peur des châtiments dans l’au-delà – quand ils y croient– , peurs qui les poursuivent jusque dans les recoins les plus reculés de leur être.
Le véritable danger consiste, même si on ne le conçoit pas ainsi, dans la méconnaissance de soi, dans le manque d’authenticité, dans le manque de points d’appui solides indépendants du monde extérieur, dans l’absence de cet axe présent en chacun de nous, juste assez pour nous permettre de rester debout et pouvoir hisser notre conscience sur le piédestal de la certitude et de la confiance qu’apporte la Sagesse.

Construire le Sentier

C’est une étape fondamentale dans cet art dont nous parlons. On ne peut arriver nulle part, et certainement pas à soi-même, sans construire la route qu’il faudra emprunter. Mais la construisons-nous réellement ?
La plupart du temps nous ne regardons même pas par où nous cheminons.
Nous suivons le courant humain, masse qui se déplace sur des sentiers battus, au gré des changements d’opinions aussi brusques qu’incompréhensibles, modifiant ainsi notre course. Mais ils y vont tous et nous y allons aussi. Nous traînons les pieds sur des sentiers jonchés de déchets : ceux que chacun abandonne derrière lui en avançant, ou autour de lui s’il n’ose avancer. Nous trébuchons, non sur des difficultés, mais sur les écueils que nous dressons nous-mêmes sur notre route.

Construire est difficile. Mais parfois, construire consiste simplement à déblayer d’anciens chemins oubliés, des routes qui ont servi durant des siècles pour arriver au but, aujourd’hui encombrées de ronces et de pierres, mais cependant plus propres que celles où s’amassent les marcheurs qui ne savent pas où ils vont. L’homme humble qui nettoie, qui arrache les herbes folles et refait des bordures avec les pierres du chemin, celui-là construit véritablement et ouvre la voie qu’il offre à la vie.
S’il y a des hommes plus courageux que d’autres, c’est à eux que revient la tâche d’ouvrir de nouveaux chemins. Mais outre leur courage, ils doivent avoir une connaissance suffisante, car il est impossible de construire un chemin sans avoir une idée claire des points de départ et d’arrivée, ainsi que des tournants et des tunnels qu’il faudra creuser dans la roche pour atteindre l’objectif.

Curieusement, les constructeurs qui savent d’où ils viennent et où ils vont ne sont pas toujours les plus écoutés, ni les plus suivis. Leurs chemins sont qualifiés d’utopies dans le meilleur des cas ; plus fréquemment, on les considère comme des voies sans issues et leurs auteurs comme des égarés. On ne leur reconnaît même pas le mérite de la bonne volonté dans l’action : la foule qui marche sans voir ni entendre a besoin de croire que les autres options sont erronées et présentées avec la volonté évidente de tromper l’humanité. Comment en serait-il autrement, puisque ceux qui portent ces jugements sont ceux qui ont les idées les plus confuses, lorsqu’ils ne font pas l’éloge de la confusion !

Jour après jour

La construction n’est pas l’œuvre d’un seul jour. Le temps, une fois de plus, devient la grande épreuve. Il faut avoir suffisamment de patience pour entretenir l’enthousiasme jour après jour, sans jamais perdre de vue le but poursuivi, aussi lointain qu’il paraisse. le temps qu’il faut pour l’atteindre importe moins que l’objectif, et, mystérieusement, lorsque l’esprit est clairement rivé à l’objectif, le temps se condense.

La possibilité réelle de construire nous est donnée par la continuité.
Continuer, persévérer ne signifient pas se changer en automate ni en esclave de ses propres œuvres. Au contraire, ce qu’il faut, c’est avoir une continuité consciente, où s’additionnent tous les succès, comme s’il s’agissait de pierres miraculeuses qui finissent par ériger le palais le plus merveilleux qu’il se puisse concevoir. Il faut de l’enthousiasme dans la continuité et pour cela il faut se vouer entièrement à la tâche qui nous occupe ; uni à un sentiment de satisfaction et à l’idée du progrès, le corps travaille.

Ainsi, le chemin se crée, avance jour après jour. Il croit du dedans et du dehors, il fait sa place dans le monde, et mène à des espaces de l’âme jusqu’alors ignorés.

L’art difficile d’être soi-même exige le renouvellement constant des énergies mises en jeu. Nous avons tous une réserve d’énergie qui, si nous l’épuisons lors des premières tentatives, disparaît et nous laisse une sensation de vide et de désarroi. L’énergie, comme toutes les forces de l’Univers, se dépense et se renouvelle cycliquement. L’énergie que l’on met en action consciemment, génère de façon automatique de nouvelles sources énergétiques qui nous serviront à poursuivre notre effort demain et après-demain, comme si nous étions chaque fois plus puissants.

Vivre jour après jour équivaut à vivre une vie pleine, à profiter de chaque heure et de chaque jour en élargissant les possibilités d’expériences et d’actions, à prendre de l’assurance, ou à se tromper et à corriger le tir. Tel est le sort du constructeur.

De ses propres mains

Le faux critère de la facilité, qui a conquis les esprits de nos contemporains, a dévalorisé au maximum le travail individuel, le travail qu’on effectue de ses propres mains. L’intelligence s’est, au mieux, transformée en l’habileté d’exploiter les autres, afin que ce soient leurs mains qui s’activent, permettant aux malins de récolter les fruits du travail d’autrui. Celui qui réussit à ce petit jeu est peut-être le plus rusé, mais aussi le moins heureux. Si, brusquement, les mains des autres disparaissent, il lui sera impossible de continuer.

Le manque de pratique et de confiance en soi le rendront inutile, aussi bien pour construire que pour suivre les chemins rebattus, car il se sentira mutilé au point de ne pouvoir faire un seul pas.

Nos « propres mains » sont un symbole, à peine voilé, issu du plus noble de nos outils. Celui qui sait se servir de ses mains pour un travail utile, sait aussi canaliser ses émotions et diriger son esprit ; il sait utiliser sa volonté et sait s’ouvrir un passage au milieu des difficultés qui paraissent insurmontables à d’autres.
Ce qui se fait avec les mains et avec la conscience, procède de « l’angélique », renferme de « l’âme ». Les mains seules ne peuvent que remuer la matière, et le chemin dont nous parlons n’est pas uniquement matériel.

Il est indispensable de redonner sa vraie valeur au travail personnel. Il convient de ne plus le considérer comme une action simplement créative.
Le travail personnel consiste également à répéter avec exactitude ce qu’on nous a enseigné.
Les Grands Maîtres enseignent, montrent les chemins, ouvrent des perspectives, mais ils ne peuvent faire le travail à notre place. C’est-à-dire, ils pourraient le faire, mais ils ne le font pas, parce que dans ce cas le succès serait le leur, à eux qui, de toute façon, sont déjà plus avancés que nous de plusieurs degrés. Et qu’en serait-il de nous, toujours dépendants de ce que d’autres accomplissent ce qui nous incombe ? Quel genre de constructeurs serions-nous si nous n’osions soulever une simple pierre ?

Le lieu où nous devons être

Répétons-le une fois de plus : il ne s’agit pas d’un endroit existant matériellement quelque part dans le monde ; il ne s’agit ni d’un poste ni d’une charge de prestige, ce n’est pas la situation recherchée par l’homme de la rue. Il existe d’autres lieux en nous-mêmes dont nous ignorons souvent l’accès. Mais une fois que nous nous sommes appropriés ces lieux, ils nous offrent la possibilité d’atteindre tous les sommets, tous les confins.

Où devons-nous être ? Cette question est intimement liée au chemin qui s’ouvre en l’homme, à l’art d’être soi-même. L’endroit où nous devons être ne coïncide pas toujours avec celui où nous aimerions être. Nos goûts sont soumis à de nombreuses pressions psychologiques et il est rare que nous nous posions la question de savoir si nos goûts sont véritablement les nôtres ou s’ils sont le produit d’une manipulation extérieure.

Nous devons être là où nous pouvons nous rencontrer nous-mêmes. Là où notre somme de causes et d’effets indique un point clair et juste, aussi bien pour prendre conscience de notre réalité que pour pouvoir continuer à avancer sur le chemin.

Oublions le sens « d’être » comme une attitude statique : « je suis comme ceci, je suis cela ». Seuls restent dans cette conception de « l’être » ceux qui donnent asile à l’inertie et à l’apathie, devenant ainsi des proies faciles pour le désespoir, ceux qui cèdent au jeu des modes, ceux qui s’engouffrent dans la colère et la violence, ceux qui, sans s’en rendre compte, se détruisent eux-mêmes par manque de discernement. Ceux-là « sont » ; ils ne bougent pas si ce n’est au pas lent de la foule hagarde qui suit les âmes enténébrées.

L’autre forme « d’être » que nous proposons est active puisqu’il s’agit de vivre pleinement et de manière consciente, d’être présent à chaque minute et de l’être dans chaque aide que nous accomplissons. Ainsi, dans la mesure où l’on est, la construction progresse et le chemin se déroule. Les enseignements pour faire de cette proposition une réalité ne manquent pas. Quand nous apprenons à allumer la lumière de notre Être intérieur, nous commençons à nous transformer en maîtres dans cet art « d’être soi-même ».
Plus encore : nous découvrons que « être » devient relatif. Il est impossible, en effet, de parler d’un stade final pour l’homme, car l’homme vit dans un esprit constant de perfectionnement. « Être », en fait, c’est atteindre un palier dans notre ascension. Ce palier constitue un repère pour que nous puissions apprécier le chemin parcouru et évaluer le chemin que nous voulons parcourir jusqu’à un prochain palier. Ces stations nous permettent de reprendre notre souffle avant de poursuivre notre route.

En vérité, le chemin qu’il nous appartient de construire est éternel et nous demande une action permanente, puisque le but s’éloigne et s’élève au fur et à mesure que nous croyons l’atteindre.

Où être, alors ? Sur le chemin, actifs et éveillés. Là est notre place, là est le point où nous nous rencontrons enfin avec nous-mêmes. Et c’est à partir de ce point que nous pouvons nous attaquer à toutes les entreprises et à toutes les épreuves que le destin nous garde en réserve.
L’important est d’avoir trouvé le sentier, de l’avoir trouvé par notre propre effort, de nos propres mains, jour après jour. Tout le reste appartient au sentier, c’est le propre de l’homme et du but, et cela existait bien avant que nous en parlions.

N.D.L.R. Le chapeau a été rajouté par la rédaction

Paru dans la revue N° 134 de Nouvelle Acropole – Janvier-Février 1994

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