Pourquoi les êtres humains mentent-ils ?

Auteur: Par Délia STEINBERG GUZMAN

libéré 18-05-2018

Pourquoi les êtres humains mentent-ils ?concept. Human face expressions, emotions, feelings

Sans avoir à recourir à des définitions précises, nous savons tous sans aucun doute ce que sont les mensonges.
Nous en avons tous usé et nous en avons tous pâti. Nous aimerions tous les faire disparaître et, cependant, nous finissons par les accepter comme un mal nécessaire et insurmontable.
Pourquoi mentir à regret ? Pourquoi supporter qu’on nous mente ? Peut-être y-a-t-il quelque chose de plus fort que le mensonge qui reste caché à une analyse superficielle !

Différentes formes de mensonges

Nous ne prétendons pas épuiser les multiples nuances que peut revêtir le mensonge, mais seulement souligner quelques-uns de ses aspects les plus courants.

Le silence, — se taire quand on doit dire quelque chose d’important et de vrai — est une forme de mensonge. C’est s’abstenir de dire la vérité. Certains considèrent ce silence comme un acte de discrétion, mais même la discrétion a des limites au-delà desquelles elle fait plus de mal que de bien.
La dissimulation conduit à agir comme si on ne supposait rien du tout ou qu’on venait de prendre connaissance de quelque chose qu’on connaissait parfaitement bien. C’est fuir la vérité. Le visage faussement surpris, on prononce des paroles ambigües qui n’expriment rien de plus que le désir de sortir de l’impasse. C’est le sourire forcé ou le « je souffre tant » de celui qui en réalité ne ressent rien. Ce sont des larmes de crocodile et des embrassades affectueuses pleines de cynisme. Celui qui dissimule se voit obligé de changer souvent d’opinion, non parce qu’il passe réellement d’une opinion à l’autre, mais parce qu’il lui faut se livrer à bien des hypocrisies pour s’adapter aux circonstances. Il n’est pas étonnant de l’entendre dire une chose radicalement opposée à celle qu’il exprimait une heure plus tôt, mais l’une et l’autre si ambigües et évasives !

Le mensonge peut revêtir la forme, fameuse, du « mensonge pieux » ou bien se présenter comme un authentique mensonge qui tergiverse, fausse et transforme la vérité selon les intérêts et les nécessités.
Sans tenir compte de la pitié qui contraint à atténuer ou altérer quelque peu la vérité pour ne pas altérer ou atténuer le courage de ceux qui sont sérieusement affligés par la douleur, c’est le mensonge pur, le plus habituel dans la vie de tous les jours, qui nous intéresse. C’est celui qui fait mal et que, curieusement, on accepte de bon ou de mauvais gré, mais qu’enfin on accepte.

Différentes formes de langage

Aussi nombreuses soient les langues qu’un être humain ait appris à utiliser d’autres langages qui mettent en évidence des facettes plus intimes de sa personnalité ; ce sont des langages internationaux plus riches et plus significatifs qu’il n’y paraît.
L’homme, partie intégrante de la nature, accumule les caractéristiques des différents règnes de la vie. Il possède quelque chose des pierres, quelque chose des plantes, des animaux et, bien sûr, quelque chose des humains.
Des pierres, nous avons imité l’immobilité, dans laquelle pas un muscle ne bouge — tout au moins dans le visage — , le fait de savoir prendre ce qu’on appelle à juste titre « un visage de marbre ». Cela équivaut au mensonge du silence, cité plus haut.
Des plantes, nous avons appris à remuer comme les branches selon les impulsions du vent des opinions, et dans des directions si variées que certaines d’entre elles ne doivent pas être justes, non qu’il n’y ait des opinions qui aillent dans des sens différents, mais parce qu’il est impossible de les assumer toutes en même temps ou de s’agiter au gré des vents qui soufflent de partout à des intervalles de quelques heures.
Des animaux, nous possédons le langage des gestes, si spontanés qu’ils nous laissent aucune possibilité de tromperie. Ainsi, bien que les mots disent une chose, les mouvements du corps, pour imperceptibles qu’ils soient, en disent une autre. Il y a actuellement une profusion d’écrits sur le langage du corps et le langage non verbal, et ces connaissances devraient nous mettre sur nos gardes, pourtant la poussée de l’instinct l’emporte sur la connaissance rationnelle : un visage, des yeux, des mains parlent davantage qu’une bouche, ou se conforment davantage à la vérité.

Le propre langage des hommes est riche, extrêmement varié … en mensonges et en subterfuges. La règle à la mode est d’apprendre à prononcer la plus grande quantité possible de mots pour ne rien dire ou pour dire le contraire de ce qu’on veut dire.

Si le processus d’appauvrissement des langues, dont le vocabulaire se réduit peu à peu pour se cantonner dans de vulgaires exclamations ou des mots inventés à significations multiples, nous surprend et nous effraie, nous ne cessons de nous émerveiller qu’il arrive à se maintenir aussi bien malgré une telle pauvreté de termes.
Nous ne voulons pas affirmer par-là que le mensonge est le langage propre de l’homme mais bien que tous les hommes savent jouer avec le langage pour l’adapter à ce qu’il leur convient de dire, chose que ni les pierres, ni les plantes, ni les animaux ne peuvent faire. Dommage que cette souplesse ne se mette pas au service de l’intelligence plutôt qu’au service de l’astuce. Dire la vérité est habituellement périlleux et n’entre pas dans le jeu des sociétés « civilisées ».

Pourquoi des mensonges ?

On rencontre généralement un facteur commun à tous les cas, avec les nuances de rigueur : c’est la peur. Là est la véritable maladie et les mensonges en sont les symptômes ou les signes déclarés.

Voyons le cas de celui qui garde un silence prudent. Sa peur à lui est de prendre des risques. Intervenir et exposer sa réelle façon de penser, c’est pour lui se compromettre vis-à-vis de lui-même et des autres, et cela demande beaucoup de courage. La peur du risque conduit, dans certains cas, à une déplorable couardise qui, au bout du compte, est toujours de la peur.

Celui qui change d’opinions selon que souffle le vent des avis à la mode, montre sa crainte de perdre l’estime de son entourage. Se différencier des autres, défendre une vérité que les autres cachent, falsifient ou ignorent, c’est se faire remarquer comme la brebis galeuse … et cela implique beaucoup de courage. Il est plus facile de s’abriter sous le manteau commun du mensonge accepté de tous et de faire partie de ce groupe que son union renforce.
Celui qui dissimule ce qu’il ressent et ce qu’il pense a peur de se montrer tel qu’il est. Soit parce qu’il a peur de se connaître, soit parce qu’il ne veut pas que les autres le voient dans sa nudité intérieure, autrement dit se savoir sans défenses. Rien de plus terrible que de subir le mépris de ceux qui se rassemblent autour de quelques valeurs à la mode, de ceux qui parviennent à détruire par des moyens variés celui qui se présente à visage pur et découvert.

Le raisonnement est simple. Si nous mentons tous sur les mêmes choses, ce mensonge n’en sera plus un et il deviendra réalité. Le mensonge contient toutes les peurs réunies : la peur de soi-même, la peur des gens, de la vie et de ses circonstances, la peur des situations qu’il nous faut affronter pour les dépasser. Le mensonge est une forme de fausseté qui tente de voir les choses autrement qu’elles sont, à son propre bénéfice : si je ne peux pas changer ce qui me fait souffrir, — ou si je ne sais pas le faire — je le peins d’une autre couleur et je m’imagine alors que je l’ai changé.
Y a-t-il de la méchanceté dans ces mensonges ? Seulement de la peur ! N’y aurait-il pas également un mépris considérable pour l’entendement et l’intelligence des autres dont on a la présomption de penser qu’ils n’ont pas les moyens de se rendre compte de la tromperie !
Que le mensonge soit mensonge saute aux yeux grâce au langage inconscient des gestes. Cc qui nous amène à conclure que l’animal (ou l’inconscient c’est la même chose) qui est sous-jacent en Chacun de nous est plus vrai que l’homme bardé de culture.

Pourquoi notre partie animale est-elle plus authentique que nous-même ? Pourquoi les yeux, les mains, les mouvements du corps dénoncent-ils ce que nous ne voulons ou ne pouvons pas dire ?

Les effets du mensonge

Nous avons noté que la peur était la principale source de mensonge, auquel peuvent s’adjoindre l’égoïsme, la tacheté, le manque de confiance en soi, la fantaisie débridée qui ne fait pas la différence entre le vrai et le faux et encore la méchanceté elle-même, le désir de nuire.
Si telles sont les causes, les effets n’en sont pas moins terribles et dangereux. On peut les apprécier clairement dans la vie sociale qui, bien que nécessaire et obligatoire, est fausse ; elle est prodigue en soucis et en ressentiments, en blessures que nous causons sans frein mais que nous ne pardonnons pas quand elles viennent des autres. La méfiance s’installe à son aise ; en réalité personne ne croit en personne et d’une certaine façon chacun se méfie aussi un peu de lui-même. On perd des heures innombrables en conversations où l’on parle de ce qui n’est pas, où l’on écrit pour démontrer l’indémontrable, où l’on informe en déformant. Et ce temps ne peut être récupéré …

Il y a un manque de foi général qui va de l’amitié à la politique, de la science à la religion. Si je mens, comment croire que les autres disent la vérité ! Qui croire, qui aimer sans tromperies ! De quoi veut-on me convaincre l Que prétend-on obtenir de moi ! Si j’essaie de me servir des autres, pourquoi les autres ne m’utiliseraient-ils pas !
De là vient une loi qui n’est pas vraie non plus : personne n’est sincère dans ce qu’il exprime, personne ne dit la vérité, tout est mensonge …
La vie devient toujours plus artificielle et les relations humaines sont inefficaces car fondées sur des bases fausses et instables. Pour survivre, il faut apprendre un nouveau langage au nom très long : que veut-on me dire quand on me dit ce qu’on me dit ?

Quelques solutions
Il est essentiel de dépasser la peur, mais on ne peut pas l’éliminer pour de bon dès le début. Il faut peu à peu lui substituer d’autres émotions supérieures et de meilleure qualité.
Faisons lui obstacle par la courtoisie au sens le plus sain du concept : un respect généreux pour les autres et pour soi-même.
La courtoisie implique peut-être parfois un silence discret ou quelque pieux mensonge pour soulager l’angoisse psychologique, mais elle est avant tout compréhension et service, dévouement sincère et élégance de l’âme. Le mensonge grossier se dissipe comme un nuage sous les chauds rayons du soleil devant la puissance régénératrice d’une courtoisie accomplie.
L’égoïsme n’est qu’une ombre, à peine, face à l’éclat de la généreuse courtoisie.

Poursuivons par le « connais-toi toi-même ». Les Anciens disaient que c’était le premier pas pour connaître les dieux et l’univers, ce qui implique aussi de connaître tous les êtres humains avec lesquels nous partageons l’existence.
Si nous les connaissons et si nous nous connaissons vraiment, cela vaut-il la peine de mentir ? Quand il n’y a plus d’hypocrisie, plus de dissimulations de mauvaise volonté, les subterfuges ont-ils un sens !

Encore une chose : contrôler la fantaisie, source de dégénérescence, et voir la réalité les yeux dessillés. Cela ne signifie pas accepter ce qui ne nous plait pas dans le monde qui nous entoure, mais au contraire savoir avec précision ce qu’il nous intéresse de changer ou d’améliorer. La fantaisie couvre de voiles ce qui nous déplaît mais ces derniers ne déplacent pas un seul grain de sable.

Et enfin du courage, beaucoup de courage, vertu oubliée qui ne manque ni aux pierres, ni aux plantes, ni aux animaux, mais qui s’estompe chez les hommes à mesure que les pressions artificielles de la société le rendent craintif et menteur.

Traduit de l’espagnol par Nicole Levy et Marie-Françoise Touret

Paru dans la Revue de Nouvelle Acropole (mars-avril 1993)

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