Une histoire, une expérience unique et personnelle

Auteur: Délia STEINBERG GUZMAN

libéré 23-04-2018

Transmettre, une expérience unique et personnelle

Dans tout ce que nous racontons, peu de choses sont vraiment importantes. Les contes, ont l’avantage, outre l’histoire qu’ils véhiculent de contenir une leçon de morale, une expérience unique et personnelle.

Il est difficile de raconter quelque chose qui ait vraiment un sens. En réalité, nous passons une bonne partie de la journée à raconter ou à commenter une longue suite de banalités, parmi lesquelles se glissent parfois des éléments moins banaux : la somme de nos préoccupations.

Raconter, oui, nous racontons beaucoup de choses en certaines occasions, pour avoir la sensation que quelqu’un nous écoute et nous comprend, parfois pour entendre notre propre voix et faire de ce son une aide pour réagir ou réfléchir.
Néanmoins, il est rare que nous racontions ce qu’on appelle réellement un conte. Il est rare que nous soyons capables de recueillir les faits quotidiens plus ou moins saillants, pour en tirer non seulement un récit digne d’être pris en considération par les autres, mais encore l’essentiel de ces faits : leur contenu, leur valeur, leur signification, en un mot, leur moralité. Et entendez par moralité, cette petite leçon de morale que véhiculent les choses dans leur devenir.

Transmettre une expérience personnelle

Dans mon travail d’enseignante, j’ai pris pour habitude de faire en sorte que les plus jeunes de mes élèves me racontent des choses, celles qu’ils imaginent ou qu’ils rêvent, mais à la condition qu’eux-mêmes clôturent le récit par des conclusions qui soient le fruit de leurs propres méditations.
Le résultat est, du moins pour moi, simplement merveilleux. Peut-être croient-ils, les jeunes, que leurs contes sont sans importance, que ce sont des bêtises, mais ils ne savent pas à quel point cette exigence de mettre en mots une expérience les oblige à chercher au fond de leur âme, à penser attentivement à des choses qui, autrement, seraient passées pour eux totalement inaperçues. Un fait est toujours un fait : sa valeur subjective lui est donnée par la personne qui le vit, l’interprète et l’assimile à tout l’ensemble de ses idées et de ses sentiments.

Ainsi donc, au cours de ces derniers mois, j’ai entendu beaucoup des choses qu’ils m’ont racontées. Certaines tout bonnement gracieuses, d’autres presque tristes, d’autres qui témoignent d’une réflexion audacieuse, d’autres d’une exquise sensibilité.
Et, dans tous les cas, j’ai vu la même chose : le désir intense de transmettre une expérience unique et personnelle, et en contrepartie, la terrible crainte de n’être pas compris dans cet acte magique que constitue le fait d’ouvrir son cœur. Mais moi, oui, je les comprends et je cherche par tous les moyens que jamais ils ne nourrissent un sentiment de honte à l’égard de ce qu’ils peuvent considérer comme noble, pur, important ou angoissant.
Qu’ils se taisent discrètement, s’ils veulent, mais que jamais ils ne le fassent par crainte des autres. Qu’ils parlent, s’ils veulent, mais sans blesser les autres ni se blesser eux-mêmes.
Ils m’ont donné une grande leçon, et c’est pourquoi j’ai moi aussi aujourd’hui quelque chose à raconter.

Au-delà de l’histoire, des valeurs insoupçonnées

Bien souvent, parmi les conclusions que les jeunes tirent de leurs récits, apparaît un dénominateur commun : les apparences sont trompeuses et au-delà de ce que voient nos yeux peuvent se cacher et se cachent beaucoup de valeurs insoupçonnées. C’est précisément ce qui m’est arrivé avec eux. Derrière leur apparence juvénile, existent des âmes anciennes et profondes, pleines d’interrogations métaphysiques et d’un désir ardent touchant le sens de la vie et le rôle qu’il leur échoit d’y jouer. Je les vois souffrir quand les gens ne les comprennent
pas ou se moquent de leurs joies intimes. Je les vois oser penser par eux-mêmes, faisant un petit saut par-dessus les modes et les conventions. Je les vois rêver d’un monde qu’ils espèrent meilleur, bien qu’ils ne sachent pas encore à quel point ce sera leur propre travail qui engendrera ce mieux. Et je vois leurs yeux, leurs yeux merveilleux, ouverts sur l’espérance, le mystère, le sérieux qui, sans pour autant que leurs visages cessent d’être juvéniles, laissent transparaître leurs âmes d’adultes qui attendent une opportunité, leur opportunité.

Merci pour vos contes, merci pour vos moralités simples et authentiques, merci pour votre authenticité, merci pour vos rires et vos erreurs parce qu’ils ajoutent un peu de sel et de piment à nos classes, merci de comprendre ce que je veux de vous et pour vous.

Que puis-je vous raconter ? Rien de plus que ce que j’ai dit : que vous continuiez à avancer dans la vie avec les yeux de l’âme bien ouverts, que vous appreniez à accueillir joies et douleurs avec la même sagesse, que vous sachiez penser et rêver chaque fois que vous en faites le projet et que vous continuiez à être cette source intarissable d’espérance pour nous qui, fatigués de voir, d’entendre et de raconter, parfois, dans un moment d’aveuglement, pensons que l’hiver est long et oublions l’éclat incomparable du printemps.

Traduit de l’espagnol par Marie-Françoise TOURET

N.D.L.R. : Le titre, le chapeau et les intertitres ont été rajoutés par la rédaction

Paru dans la revue de Nouvelle Acropole N°126 – Juillet-aout 1992

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