Le plus difficile des choix

Auteur: Par Délia STEINBERG GUZMAN

libéré 21-01-2019

Adult bearded man in glasses and white shirt looking up in thoughts being uncertain on gray background

On rencontre souvent des gens pour qui devoir choisir entre telle ou telle option n’est pas vécu seulement comme une difficulté mais relève quasiment du supplice.

La vie nous offre si peu d’occasions de choisir en toute liberté, même dans les circonstances les plus simples et les plus quotidiennes, que cette faculté spécifiquement humaine et si peu utilisée par tant d’êtres humains s’amenuise de jour en jour.

Bien qu’apparemment les sociétés civilisées se soient appliquées à fournir des schémas comportementaux censés répondre à toutes les circonstances, la richesse de l’existence nous réserve tant de nuances et de surprises que l’on est amené à faire des pauses, à réfléchir et à faire des choix.

On hésite entre tel ou tel aliment selon la marque ou la qualité, on hésite pour choisir la couleur d’un vêtement, pour la somme d’argent que nous sommes prêts à dépenser pour quelque chose qui nous attire… il faut se déterminer pour telles ou telles études ? Il faut décider de la façon d’occuper son temps, il n’est pas facile de choisir le partenaire idéal, aussi amoureux soit-on. Et puis, où vivre ? Dans quelle branche travailler, si tant est qu’on trouve du travail ? Où passer les prochaines vacances, si on en a ? La liste serait sans fin si chacun y ajoutait ses propres interrogations.

Pourquoi est-il si difficile de choisir ?

Les raisons en sort multiples. Certaines sont personnelles, d’autres, bien qu’extérieures, ont aussi une incidence sur le flottement psychique et mental de celui qui doit choisir.

L’aptitude à choisir

Elle est le résultat de l’expérience, du savoir-penser et du savoir-faire. Ce n’est pas une question purement intellectuelle. Le raisonnement peut nous amener à trouver des dizaines d’arguments pour ou contre les éléments en cause, mais ce n’est pas la raison qui décide. Il y a quelque chose de plus fort et de plus déterminé qui nous pousse à l’action : la volonté. Et si celle-ci n’est pas entretenue, elle ressemble à un monde atrophié. Il ne mène nulle puisqu’il ne s’active pas. Le manque d’expériences de vie, solides, bien assurées et bien assimilées, fait qu’il est très difficile de pouvoir choisir. Il reste toujours une trace d’incertitude, de doute, un sentiment de n’avoir pas trouvé ce qui nous correspondant vraiment.

Les choix qui ne nous appartiennent pas

Un grand nombre d’attitudes dans la vie sont déjà déterminantes déjà prédéterminées. Les valeurs sociales dominantes s’en chargent, les normes morales — si on les prend en compte — les modes, les convenances, le prestige, l’acceptation de la part des autres, ou, au contraire, la crainte du rejet par les groupes institués.
Ainsi donc, au lieu de choisir, il faut apprendre ce que font et disent les autres, en essayant de s’adapter au style adopté par la majorité.

Aller à contre-courant est dangereux Parfois, cela ne relève que d’un élan de rébellion insensé : parfois, c’est un cri de liberté qu’étouffe la solitude de l’incompréhension
On finit par se détacher de la masse et par se faire remarquer, mais pas en tant que valeur sûre ou comme génie, mais plutôt comme un loustic étrange el indésirable, comme un élément de discorde.

Presque tous les jeunes passent par cette étape de rébellion au cours de laquelle il leur en coûte d’accepter une telle normalisation préfabriquée, tant ils débordent d’élan vital ; ils connaissent un besoin impérieux d’essayer leurs propres forces.

Ils n’ont pourtant pas les aptitudes suffisantes, pour faire à coup sûr le bon choix, car l’expérience leur manque et, malgré la vigueur de leur élan, ils n’ont pas la capacité d’appréhender toutes les tenants et aboutissants. Ils auront beau planifier, comme aux échecs, un deux, trois ou cinq coups, l’analyse qu’ils feront des conséquences de leurs décisions n’ira pas loin.

La publicité

C’est une autre forme de pression, plus ou moins forte selon les cas, mais toujours pesante. Elle ne provient pas forcément des moyens habituels de publication, ceux qui sont bourrés de suggestions ou d’exigences qui nous poussent et nous tirent à hue et à dia. Il existe un autre type de publicité, ou plutôt une autre sorte de propagande, plus subtile, qui essaime sous forme d’opinions : tout comme à la Bourse des Valeurs, leur code fluctue entre hausses et baisses du marché.

À notre insu, nous appliquons aux choses les qualificatifs bon, mauvais, pratique, élégant, détestable, intéressant, terrible ou désirable, suivant qu’on a dicté à notre conscience endormie, les idées pénétrant de façon subliminale sans aucune intervention de notre part.

Qu’est-ce que choisir ?

C’est une fonction de l’intelligence et non de la raison.
Tentons d’expliciter cela. La raison est un instrument à la disposition de l’esprit, que celui-ci utilise, comme on lui a appris à le faire (c’est-à-dire peu et mal). De telle sorte que le fruit de nos raisonnements ne correspond pas toujours à ce que nous sommes mais plutôt à l’ensemble des injonctions et des convenances que nous avons citées plus haut. L’intelligence est discernement : c’est bien identifier toutes les options possibles et pouvoir choisir la plus acceptable en fonction de sa propre expérience et de son propre jugement. C’est avoir une conscience claire de la décision qui impliquera la responsabilité personnelle face au succès ou à l’échec. Voilà la raison d’être de l’intelligence.

Il apparaît, comme il est dit au début de ce texte, qu’on ne nous laisse guère l’opportunité de développer ou d’utiliser un quelconque discernement qui nous permettrait de choisir en connaissance de cause et de tirer un enseignement de chacun de nos choix.

Pour commencer, il nous faudrait savoir appréhender toute la palette d’options
« multidirectionnelles » que nous offre la vie. Or, vu le système éducatif général, c’est pratiquement impossible. On ne connaît que quelques options : celles qui ont été préalablement acceptées ou rejetées d’emblée par ceux-là même qui ont le pouvoir de décider ainsi. Aussi ne peut-on vraiment choisir ; en fait, on ne peut que dire oui ou non à telle ou telle option ; le oui n’étant qu’une action en demi-teinte, et le non une simple abstention.

Il nous faut en outre éveiller le sentiment de notre propre responsabilité : pouvoir affirmer : c’est moi qui me décide pour l’orange ou la pomme, moi qui décide d’étudier la chimie ou la littérature, moi qui prends la vie en mains ou me laisse mener. C’est moi qui assume les résultats de cette décision : à l’occasion de chaque réussite ou de chaque échec.
L’expérience est toujours, au fond, positive, elle me permet d’accroître mes chances de succès à venir et de réduire les erreurs. Il ne sert à rien de faire porter la faute aux autres, aux circonstances, au destin ou à Dieu en personne, si nous n’osons pas utiliser notre volonté et rectifier nos erreurs avec la plus grande fermeté.

La plupart du temps, les erreurs peuvent être corrigées : une infirmité au niveau du mental et de la volonté est généralement irréversible.

Que faire quand il n’y a rien à choisir ?

C’est le cas le plus épineux, et celui auquel, malheureusement, nous sommes le plus souvent confrontés par les temps qui courent.

Aux niveaux individuel et collectif, dans son petit chez soi, dans chaque pays particulier, on se voit limité par une double incapacité à choisir : d’abord par manque de discernement et ensuite par manque d’options valables.

Il ne s’agit pas aujourd’hui de se décider entre le meilleur ou le pire, ni même entre le mauvais ou le moins mauvais, mais de choisir ce qu’il y a en fait, même si cela ne s’accorde pas à nos besoins, à nos rêves ou à nos idées. Le cas de ceux qui ne parviennent pas à savoir ce qu’ils vont manger ou porter est particulièrement affligeant, mais bel et bien réel : ils sont réduits à ne voir que ce qui existe, en bien ou en mal et le plus souvent en petite quantité, la même chose pour tous dans le meilleur des cas, car parfois il n’y a rien de rien

Quelles études faire lorsqu’on ne peut accéder qu’aux places qui restent disponibles dans quelques facultés ? Ou que faire quand chaque école défend une idéologie prédéterminée ? Ou quand de toute façon on manque d’argent pour accéder à ces maigres possibilités ?

Quel film voir au cinéma ou quel programme à la télévision, quand tout n’y est qu’horreurs et maladie, spectacles vulgaires et insipides, véritables injures au public ? Il y a des exceptions, bien sûr, mais si peu…
Que lire quand il n’y a pour ainsi dire pas d’ouvrages parmi lesquels choisir ? Avec qui parler quand l’habitude veut qu’on perde son temps en commentaires insidieux, en critiques et rejets divers ?

Pour qui voter aux élections quand les uns et les autres se sont évertués à se jeter mutuellement l’opprobre, faisant éclater au grand jour les plus incroyables scandales de leurs vies privées et publiques ?

En quel Dieu croire quand toutes les religions promettent un ciel qui se fait attendre, en échange de souffrances auxquelles nous ne pouvons mettre fin ? Comment avoir foi, et en quel dieu, si chaque religion se dit l’unique dépositaire de la vérité et condamne le reste de l’humanité à vivre dans l’horreur et le péché ? Dans quelle lutte de pouvoir, quelle place reste-t-il au pauvre d’esprit de l’Homme ?

À quoi bon poursuivre d’autres exemples, alors que nous sommes tous les victimes, d’ailleurs pas toujours conscientes, de ce fléau ?

La sècheresse ne fait pas que réduire le cours des rivières ou nous priver d’eau dans nos
Maisons. Elle affecte bien d’autres aspects de la vie, provoquant à terme un désert om l’on se contente du peu qu’on trouve si l’on ne veut pas mourir de soif.

Alors, que faire ?

Comme toujours, choisir, apprendre à utiliser intelligence et discernement, mettre chaque chose à sa juste place et choisir en connaissance de cause.

Reconnaître que nous avons peu d’options, non parce qu’il n’y en a pas d’autres, mais parce que, de toute façon, la contrainte a réduit nos chances de les découvrir. Qui exerce cette contrainte ? C’est une question que nous ne traiterons pas maintenant. Ce qui importe pour l’instant, c’est de savoir que nous avons peu d’issues et que le labyrinthe tend à nous enfermer Le savoir est déjà un bon début pour réfléchir aux moyens d’en sortir, pour trouver des échappatoires, des solutions.

Que le manque de possibilités ne contribue pas à nous obscurcir la vue davantage ni ne soit un piège tendu à l’intelligence et à la volonté.

Chaque être humain constitue un potentiel, une vie nouvelle. Et chaque peuple croît dans la mesure où ses hommes sont sages, constants dans leurs idées et résolus dans leurs actions.

Le choix le plus difficile, en dépit des apparences, est de se décider à créer de nouveaux canaux afin de pouvoir recommencer à choisir, à expérimenter, à vivre.

Paru dans la revue N°138 de Nouvelle Acropole – Juillet aout 1994

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